lundi 14 mai 2012

Le bruit de la voix

Un citoyen, une voix. 

Une voix, c’est une voix. 
Une voix, c’est une voix. 
Une voix, c’est une voix. 

On donne sa voix, mais quand on écoute sa propre voix, on ne la reconnait pas. On est désolé pour les autres, on pensait avoir une voix harmonieuse. Rien ne laissait présager une telle voix. 
On est déçu : on voudrait changer de voix. 

On se demande comment ils font, les autres, pour supporter notre voix. 

Alors on s’abstient. 
On se tait. 
Tous les mots restent en dedans. 

Il faut bien les garder pour soi, puisqu’en dehors, ils grincent si misérablement. 

Une voix misérable reste une voix. Mises bout à bout, toutes les voix misérables du monde pourraient créer un sacré raffut.
On graverait sur ces voix les mots de Victor Hugo : « je suis un homme qui ne mange pas tous les jours » ! Il faudrait enchaîner ces voix les unes aux autres et les jeter à la face du monde des puissants. 

Ils resteraient sans voix. 

Mais les puissants n’ont pas besoin de voix parce qu’ils ont l’argent.
Et l’argent n’a pas besoin de voix parce qu’il a des porte-parole. 
Encouragé par les puissances de l’argent, le porte-parole n’aura jamais d’extinction de voix. 

Et la misère du monde est inaudible. Il faut tendre l’oreille pour entendre sa voix. 
C’est une voix vitreuse.
Elle n’est pas belle. 
Ni dedans, ni dehors. 

La voix des vagabonds ni dedans, ni dehors…

Sauf, un jour, c’est la voix du poète. 

Si je pouvais, je donnerai ma voix pour Victor Hugo, celui des misérables. Quand il écrit : « je suis un homme qui ne mange pas tous les jours ». 

Si je pouvais, je donnerai ma voix pour Jean Genet quand il supplie « sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou… » 

Si je pouvais, je donnerai ma voix pour René Char quand il dit : « Si tu cries, le monde se tait: il s'éloigne avec ton propre monde. » 

Un citoyen, une voix. 
Un salarié, une voix. 
René Char, une voix : « Obéissez à vos porcs qui existent. Je ne plaisante pas avec les porcs. Je me révolte et me soumets à mes dieux qui n'existent pas. »

vendredi 27 janvier 2012

Juste avant de dormir


Quand je pense au nombre de GRANDS auteurs qui ont pris la plume sans savoir QUOI écrire et OU ça les mènerait, et quand je pense au nombre de CHEFS D’ŒUVRE qui sont nés de ces moments de VIDE, je me rassure moi-même et moi-moi-moi-même je m’auto-rassure en écrivant N’IMPORTE QUOI, un mot après l’autre, m’accouchant d’une petite œuvre qui un jour deviendra GRANDE car enfin la postérité, ça tient à si peu de chose, une oreille attentive, et allez savoir, cette oreille appartient peut-être –sait-on jamais- à l’un de ces clairvoyants qui vous révèlera vous, et dans l’immédiat, MOI-moi-moi-même, ou pas. Enfin car sans doute ce sont souvent les AUTRES qui nous révèlent à nous-mêmes, n’est-ce pas, les autres, et les compliments liquorés qui basculent de leur bouche à ma gorge. Et je les BOIS.

mercredi 25 janvier 2012

Vieux motard que jamais

Quand même
il était temps que je déflore
cette putain d'année 2012
Je forme le souhait
qu'elle soit propice
à l'assassinat des fâcheux
au dépérissement des bien pensants
à l'atomisation des ménagères
à la disparition définitive
des jupes à godet
et des talons richelieu
et peut-être aussi
des vendeurs de sushis (sur place ou à emporter).
c'est bien d'avoir des convictions.

Roots


Une indigestion de faits mineurs, tous ces petits riens phénoménaux qui engloutissent la beauté du monde et la beauté des hommes sous une couche épaisse de sucre dégoutant, de quoi nous faire oublier le goût des autres, sur le bout de la langue le goût sublime des forêts en décomposition.





C’est au petit matin, le jour à peine désommeillé, quand le soleil n’est qu’une vague idée noyé vers l’orient, c’est là, sur un chemin de feuilles mouillées, que les odeurs du monde m’étourdissent le mieux. Je quitte à peine le silence des troupeaux, le murmure des sabots humides sous le ventre des vaches, leurs yeux cernés de kohl m’envoient quelques prières – un steak ce soir meuglera bien saignant sur la table de l’hôtesse.
Et je m’enfonce dans la puanteur épaisse des agonies d’hier, le corps alourdi de tristesse, en quête d’un petit chemin qui pourrait enfin me conduire à nulle part.

Nulle part.

Au-delà de la dévastation : à l’horizon piqué de poteaux électriques, rien d’autre ne répond sinon l’absolue certitude de n’être que de là. Naître de ce pays dont je ne connais rien, qui ne me connait pas et qui m’oubliera vite.
Ou pas.
Qui sait si je n’y laisserai pas de telluriques obsessions.
Le dernier regard du rouquin assassiné par une balle perdue. Mort contre la france. Et sa mémoire engluée de regrets éternels.




Le ciel sans un nuage est d’un ennui profond. Plus loin, je traverse un village et mes pieds me font mal. Plus loin c’est un creux de vallon, une vague envie d’y creuser ma tombe, et puis, plus loin encore, des gorges noires propices à l’affolement des rivières.

Nulle part et le silence et le nécessaire besoin de s’y perdre.