dimanche 24 juillet 2011

Loyasse

Je me promène aujourd'hui au cimetière de Loyasse.
Un monsieur, perdu au milieu des allées, s'approche et me demande: "vous êtes d'ici?"
- Heu... Oui... mais le plus tard possible.
C'est tout ce que j'ai trouvé à lui répondre.

Une ville, 22h52

J’ai une machette
Dit un poivrot à un autre poivrot


Répond l’autre

J’ai une machette, moi. Moi, j’ai une machette.
Répète en boucle le poivrot


S’interdit de répondre l’autre

Et ainsi de suite, dans l’interminable nuit mouillée de ce milieu d’été.

Je ne sais pas, machette, ça que ça veut dire dans la bouche assoiffée du poivrot.
Mais massacre, oui, même en tremblant je te coupe en morceaux, même au fin fond de mon ivrognerie je te saucissonne la tronche, oui, même en vomissure de vinasse je te tranche les artères, oui, j’ai une machette, moi, moi, et c’est tout j’en ai une et c’est tout, j’ai une machette et c’est moi.

Sa voix rauque bouleverse la cambrure des arbres, dans la nuit pâlichonne de ce milieu d’été ils/platanes désolants- éteignent les feux allumés sous les bancs, allongent du silence.
Et s'apaisent, dans la ville assoupie, les colères cannibales (à minuit, tout est calme).

jeudi 21 juillet 2011

Balade au cimetière

Venez !
Viens !
Viens !
V’nez vous promener dans mon cimetière !
Allez ! soyez pas chien !
J’ai ma frontale !
On verra mieux les inscriptions et les photos des macchabés… O ! Pardon ! des disparus. Des chers disparus. Des disparus trop jeunes. Des arrachés à notre amour. Des anges envolés. Des petits papas chéris. Des épouses adorées. Des chers frères, o ! des chères chères défunts, des ci-gît, des disparus dans la tourmente, des regrettés maris et tout et tout et tout et tout…
Et toute une panoplie de bouches cousues, des avant-hiers scellés dans le silence des pierres.
Venez !

Viens !
Il est beau mon cimetière !
Les fleurs de novembre ont fini de sécher, ça sent bon, tu pourras frotter tes écorces à celles du vieil if, il y en a un, posé là depuis un siècle, si ! je te jure ! on l’entend rire, la nuit ! ça fâche un peu tous ces lilas qui ne passeront pas l’année, mais il s’en fout, l’arbre, il s’épanouit à la chaleur des macchabés, oh ! pardon ! des disparus, de nos chers disparus. Il faut dire que l’endroit est propice. Les vers une fois repus viennent en chapelet lui chatouiller les racines. Ah ! c’est bon de l’entendre rire !

Le représentant des pompes funèbres, sur un ton très solennel :
Une longue tombale plate, dégageant une ouverture suffisante pour le passage d'un cercueil.
Une stèle verticale en tête de monument pour recevoir de façon visible le nom de la défunte.
Un soubassement pour donner du volume au monument en rehaussant la tombale et la stèle.
Un prie-dieu ou une jardinière pour recevoir des fleurs ou des plantations.

Dépêche toi de choisir c’est embêtant à la fin, sapin ou chêne, granit ou marbre, tombe ou caveau, vite je n’en peux plus d’attendre là, entre deux eaux, un mot de toi et je traverse enfin.

lundi 18 juillet 2011

Garde à vue

DIVES SUR MER
26ème festival de la marionnette

Chantier de la marionnette

Thème : Catastrophe
Contraintes :
Votre texte ne fait pas plus de quatre pages, police 12
Il commence par « Vlan »
Il finit par « catastrophe »
Le vert sera sa couleur de référence
C’est un dialogue


GARDE A VUE

La scène se passe dans un commissariat de police.
Dans le bureau du chef : un enfant tout seul.
Une grande fenêtre donne sur la rue.
Une porte donne sur le couloir et les autres bureaux.
Les personnages sont : le chef, l’enfant en état d’arrestation, la sous-sous-sous brigadier Géraldine et le sous-sous adjudant Vautrin.

Vlan !

Chef
La fenêtre !

Geraldine (off)
Oui, chef.

Le chef entre dans son bureau. Il est très sûr de lui.

Chef
Tu t’appelles comment, t’as quel âge, d’où tu viens ?

Gazio
Bonjour, je suis petit, d’où je viens j’en sais rien et je me suis toujours appelé Gazio.

Chef
Tu es malade ?

Gazio
Pourquoi ?

Chef
Ton visage. Il est tout vert.

Gazio
Je n’ai pas trop envie de vomir, si ça peut vous rassurer.

Chef
Tu es en colère ?

Gazio
Un peu. Je ne me suis pas lavé depuis longtemps. J’ai de la mousse qui me pousse dans les trous de nez et dans le cul.

Chef
Je comprends. Moi aussi, ça me foutrait en boule…

Gazio
C’est pour ça que je suis en état d’arrestation ?

Chef
Disons que… Comment dire… Attends-moi là je reviens.

Le chef sort du bureau

Chef
Allo ? Passez-moi le ministre… Merci.
Monsieur le ministre on a un problème…. Il est dans mon bureau, oui. Disons dans les 12, 13 ans. Origine inconnue, couleur de peau suspect… Il parle français, oui… un français, républicain… Non, il n’a pas d’accent…

Vlan.

Chef
Putain ! La fenêtre !

Géraldine (off)
Oui chef !

Chef
Pardon monsieur le ministre. Qu’est-ce… oui. Il n’a pas d’accent. Sa couleur ? Hum. Il est vert. Un vert, comment dire : ça tire sur le jaune… comment vous dites ? Céladon ! Voilà : un vert céladon. C’est tout à fait ça, monsieur le ministre.
Bon. On fait comment ? Mes hommes deviennent nerveux…
Bla…bla…bla… secret défense… bla…bla…bla… opération prioritaire… bla…bla…bla… je vous baise les pieds, monsieur le ministre.

Le commissaire retourne dans son bureau. Il croise Géraldine dans le couloir.

Chef
Sous-sous-sous brigadier Géraldine : dans mon bureau.

Géraldine
Maintenant ? Mais j’ai le rapport sur l’explosion de la jardinerie de Dives sur mer à terminer, chef.

Chef
Rien à foutre de la jardinerie. J’ai besoin de vous là, maintenant, tout de suite.

Géraldine
D’accord chef. Si c’est urgent.

Chef
On a une bizarrerie de gosse sur les bras. Couleur indéterminée, nationalité douteuse. En pleine polémique sur les clandos. C’est urgent.

Géraldine
Oui, chef.

Ils rentrent dans le bureau.

Géraldine
Oh mon dieu !

Chef
Calmez-vous, Géraldine. C’est qu’un gosse.

Géraldine
Oui mais il a de la mousse qui lui sort par…

Chef
Je sais Géraldine. Bien. (Au petit) Gazio. C’est un nom, ça ?

Gazio
Je m’appelle Gazio. Dès ma naissance, je me suis appelé Gazio. Quand quelqu’un dit : « Gazio ! », je me retourne. C’est mon nom.

Géraldine
Mon dieu, comme il a mauvaise mine !

Chef
Tu vas à l’école, Gazio ?

Gazio
J’y vais tous les dimanches avec mon père.

Chef
Il n’y a pas école le dimanche.

Gazio
Ah. J’y vais les autres jours, alors.

Chef (en aparte à Géraldine)
Vous voyez, il délire : il dit n’importe quoi et en plus…

Géraldine
Il est tout verdâtre…

Chef
Il est vert céladon.

Géraldine
Oui, chef. C’est peut-être son régime alimentaire…

Chef
Tu as faim ?

Gazio
J’ai rien mangé depuis trois jours.

Géraldine
Mon dieu !

Chef
Ça te dirait un Jambon-beurre ?

Gazio
Gazio ne mange pas de jambon-beurre…

Géraldine (à part, au chef)
J’avais raison, il doit être végétarien…

Chef
Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?

Géraldine
Ou… végétalien…

Gazio
Une limace

Chef
Pardon ?

Géraldine
Oh mon dieu !

Gazio
J’aime les limaces bleues.

Géraldine
C’est dégoûtant…

Gazio
C’est PAS dégoûtant !

Chef(à part)
Faut pas le contrarier : allez lui chercher une assiette de limaces bleues.

Géraldine(à part)
Mais… je… où je vais trouver ça, moi.

Gazio
(Voix calme, un peu inquiétante) Il y en a plein les rues, sous les pompes à incendie.

Chef (à Géraldine)
Vous avez entendu ? Allez lui chercher ses limaces.

Géraldine
Oui, chef. Mon dieu, il a pas l’air accommodant, le gamin…

Chef (Au gamin)
Toi, Gazio, tu ne bouges pas d’ici. Je reviens.

Le commissaire sort de son bureau

Chef
Allo ? Passez-moi le ministre… Merci.
Monsieur le ministre ça se complique… ça ne ressemble à rien de connu…. Vous avez raison, monsieur le ministre. On n’est jamais trop prudent. Je vous lèche les bottes, monsieur le ministre. (il raccroche) Vautrin ? Vautrin !

Vautrin
Oui, chef ?

Chef
Appelez nos gars de la sécurité intérieure. Qu’ils activent le plan « requin marteau » dans un rayon de 120 kilomètres autour du commissariat.

Vautrin
Mais… chef, je suis en train finir mon rapport sur l’attentat du Jardiland de Caen ! Vous m’avez dit que ça pouvait pas attendre, chef, faudrait savoir…

Chef fait les gros yeux

Vautrin
Bien chef. C’est vous le chef, chef.

Le commissaire rentre dans son bureau. Il fait de plus en plus chaud. L’enfant est de plus en plus vert.

Chef
Il fait une chaleur à crever ici. Si ça t’ennuies pas j’ouvre un peu.

Gazio
J’aime bien quand c’est ouvert.

Chef
Très drôle. Et maintenant, Gazio, à nous deux.

Ils se regardent en silence. L’enfant toussote. Ça fait sursauter le chef.

Chef
Tu fais le malin…

Gazio rote. Le chef sursaute pour la deuxième fois

Gazio
Ça me pousse à l’intérieur

Chef
Quoi. Qu’est-ce qui pousse.

Gazio
De la mousse. Des arbres. Je ne sais pas. Ça veut sortir mais ça peut pas. C’est coincé (il rote encore).

Chef (voix suave)
Gazio. Mon petit. On ne te veut aucun mal. Ici, - en bas – au sous-sol - dans la cave - il y a des médecins. Tu veux voir un médecin ?

Gazio
J’aimerais mieux rentrer chez moi.

Chef
D’accord. Pas de problème. Promis. Tu me dis d’où tu viens et tu rentres chez toi. Garanti sur facture. Top là.

Gazio
J’habite une maison par semaine. Ça dépend.

Chef (à part)
Et merde. Un enfant du voyage. Manquait plus que ça.
(à Gazio) Une maison par semaine ? tu en as de la chance… elles sont où tes maisons ?

Gazio
Ça dépend… c’est pas fixe.

Chef (en s’énervant)
Comment ça « c’est pas fixe » : une maison c’est fixe ! ça a des fondations, c’est posé, ça s’envole pas une maison. Ça se repère. Tu comprends, ça se contrôle une maison ! Une maison qui bouge tout le temps c’est pas une maison !

Vautrin entre en trombe.

Vautrin
Chef ! chef ! ça a pété ! ça a encore pété !

Chef
QUOI ? Putain de bordel de merde. Je t’écoute…

Vautrin
Sur le secteur 4. La sous-sous-sous brigadier Géraldine était en train de démonter une pompe à incendie… et PAF ! ça lui a pété dans la gueule !

Chef
Ah le sale petit morveux…

Vautrin
Tenez chef ! c’est tout ce que j’ai pu récupérer…

Vautrin tend un bras sanguinolent au chef. Dans la main crispée : une limace bleue. Chef est pris de tremblement.

Chef
Toi, reste ici. Surveille le môme. J’en n’ai pas pour longtemps.

Vautrin
Chef. J’ai peur chef.

Chef
C’est qu’un gosse, Vautrin. Un gosse.

Vautrin
Il est de plus en plus vert, chef.

Chef
Vautrin…

Vautrin
Bien chef.

Chef sort de son bureau

Vlan !

Chef
Et fermez-moi cette putain de fenêtre !

Chef
Allo ? Passez-moi le ministre… Merci.
Monsieur le ministre, mauvaises nouvelles… Hein ? Il est vert comment ? Et bien à présent : il est vert foncé. Vous dites ?...
Vert châtaigne ? … Si vous voulez monsieur le ministre. Dans ce cas je vous propose : kaki. Non ? Alors : vert de gris… Non plus ? Cependant et sauf votre respect, monsieur le ministre, le vert châtaigne est un peu plus… marron, or le gosse n’est pas marron. Il est vert. Pardon ? Ah. Vous insistez sur la châtaigne ? (il a une illumination) Mais bon sang mais c’est bien sûr, monsieur le ministre. Je vous ai entendu, monsieur le ministre ! A vos ordres, monsieur le ministre.

Le chef revient dans son bureau, tout guilleret.

Chef
Cette fois je le tiens. Vert châtaigne. J’adore les châtaignes. J’adore distribuer des châtaignes. Monsieur le ministre, vous êtes un génie.

Le bureau est vide.
La fenêtre est fermée.
Vautrin est sonné, seul au milieu de la pièce, il tient une plume verte dans sa main.

Chef
Il est où ? le gosse ! Il est où ?

Vautrin
Il… il s’est envolé…

Chef
Il s’est envolé.

Vautrin
Par… par la fenêtre.

Chef
Il a sauté ?

Vautrin
Non, chef, il s’est envolé.

Chef
Il s’est écrasé en bas ?

Vautrin
Non, chef, il s’est envolé.

Chef
Il avait une corde, un parachute, un complice ?

Vautrin
Non, chef, il s’est envolé.

Chef
Comme ça ? Sans un mot ?

Vautrin
Il a dit : merci pour la limace et il s’est envolé.

Chef
C’est une catastrophe.


FIN