dimanche 23 janvier 2011

Une tragédie #1

Georges est mort.
A la suite d’un concours de circonstances bien étrange.

Ce matin là Georges en se réveillant était de bonne humeur, une nuit d’amour griffait ses joues.
L’inconscience, sans doute, ou le trop de confiance en lui, ce qu’il a fait ce matin là… s’assoir, enfin poser son cul, dira maman, sur son fauteuil à elle, ça… grands dieux, ça n’est pas acceptable.

Seigneur Jésus et tous les saints, allez, hop, dégage, vas-t-en, tu sais très bien que… allez ! hop ! hop ! hop ! je ne veux plus te voir de la journée !
Et elle claque, vlam ! la porte derrière le pauvre Georges, 15 ans, une belle nuit d’amour dans les pattes.

Ainsi part-il de la maison, chassé, chassant on ne sait quoi, mais dans l’esprit des pensées complexes.
Une petite envie d’en finir avec tout ça lui noie l’âme un court instant, mais c’est comme s’il buvait un verre de lait : ça l’écœure. Il passe outre.

Au lieu d’emprunter, comme à son habitude, la Rue de la Pompe-à-nœud, il choisit de bifurquer vers l’avenue de la Joie. Coupée en deux par le Village de la soif, c’est un morceau de ville où les filles de grande vertu applaudissent aux exploits des chiens égarés. On s’y pourlèche d’amour éperdu, pour quelques francs six sous la honte déserte les trottoirs, c’est à peine à cinq cents mètres du monde commun mais c’est ailleurs, plus haut, ou en dessous. Pour ainsi dire, dans le Village de la soif, les tables de la loi, on chie dessus.

Georges marche encore mais sur la jante. Les pneus crevés, à bout.
Plus d’essence. Réservoir à sec.
(Ça va bien la métaphore ? Tout le monde a compris ?)

Au même moment, à sec également, mais quelques rues plus loin, le poète chasse la métaphore. Un rideau mou dans son ventre, des traits de plume rayent le bois de sa table, il est en bas de la colline et l’horizon s’échappe à grands coups d’ailes rageurs. Il cherche le rapace qui l’immolera dans l’Olympe.

Georges a froid mais ne rentrera plus chez lui. Il trace. Il écrit avec ses pieds le dernier chapitre de sa vie.

mercredi 19 janvier 2011

Château Gaillard #1

Voilà alors qu’un jour Denise et moi nous partons.
C’est un voyage de la réconciliation soit disant, mais mon œil enfin je veux bien y croire. Je veux bien encore une fois croire aux trainées de poudre de perlin pinpin qu’elle disperse tous les soirs dans mon lit en mettant double dose sur mon oreiller. Poudre d’oubli, odorante à la rose, poudre de maléfice, une pincée suffit pour que s’allègent de mon panier de douleur: tromperies, crachats et pinces de crabe.
Alors soit, nous partons.
Et nous y sommes, transportées d’amour l’une et l’autre, riant à la Seine et à ses boucles vertes, main dans la main gravissant le sentier qui mène à Château Gaillard.
Je me demande pourquoi sans oser lui demander, Denise ne fait rien par hasard.
Mais je dis ça, après coup : j’aurais du me méfier.

L'enfance de Denise #1

Quand j’étais une petite fille, il y avait la guerre quelque part, entre ma chambre et des champs de bataille loin, par là-bas.
Un jeudi, après le couvre feu, un obus a traversé le salon.
La maison trouée avec une précision chirurgicale ouvre d’un coup sur la ruelle sombre d’un côté, sur l’horizon des champs de blé au sud. La maison éventrée me ressemble. Je suis ouverte à tous les vents, un trou à la place du ventre.

L'enfance de Denise #2

On est à table. Maman a calfeutré les murs comme elle a pu, avec des cartons ramassés dans la cave. On dîne en silence, on ne doit pas attirer l’attention, n’importe qui pourrait entrer, pousser les cartons d’une pichenette et s’inviter chez nous. Papa a les yeux dans le vague, il a la tête de celui qui cherche la solution et qu’il ne faut surtout pas déranger. Alors on fait attention à ne pas entrechoquer les couverts sur l’assiette, on mâche doucement, on avale sans précipitation. Il se racle la gorge, sans se concerter la famille interrompt sa mastication, nous posons nos mains sur nos genoux et nous tendons vers lui le visage des enfants soucieux.
« Voilà. J’ai bien réfléchi. Il n’y a pas trente six solutions, j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je n’en vois qu’une. On part. »
- Partir ? (silence) Pour aller où ?
Maman dit ça dans un souffle, au bord des larmes, elle a grandi dans cette maison, c’est toute sa vie.
Papa la fusille de regard, la voilà transpercée elle aussi, comme la maison, une bourrasque s’engouffre dans sa poitrine et manque de la faire basculer cul par-dessus tête.
Une pichenette, le regard de papa, mais maman, la voilà glacée d’effroi.
Elle finit par se ressaisir, après une petite valse son corps se raidit, elle se redresse, gonfle la poitrine, pose ses mains sur la table bien à plat, ses doigts tremblent.
- Seigneur Jésus on ne peut pas, Dieu m’est témoin on ne trouvera nulle part où … la foudre ne tombe jamais deux fois sur… et les enfants, comment vont-ils…
Maman jette sur nous un regard de douleur ou de haine, on ne peut pas savoir, implore notre aide, mais moi je veux bien partir, ce n’est pas chez moi qu’elle trouvera du soutien, pas cette fois.
Et bien dis papa, nous sommes en démocratie, on va voter. Qui veut partir ?
On ne sait pas ce que c’est la démocratie. Partir, on ne sait pas non plus. Alors on lève la main. Sauf maman.
C’est comme si un troisième trou s’ouvrait sous ses pieds, elle rapetisse, je la vois perdre les pouces de sa taille, elle devient toute petite, à peine visible, à croire qu’elle a la faculté de s’aspirer de l’intérieur, et puis quelques minutes se passent et maman a disparu, aspirée par le coussin de sa chaise.
Et bien, dis papa le peuple a parlé. Faites vos valises, on part demain.
On a laissé la soupe refroidir dans la marmite et couru dans nos chambres.
Maman n’a plus donné signe de vie.

dimanche 16 janvier 2011

Denise noire

Le trou noir, c’est l’obscurité en elle, un vide sans contour et c’est ce qui rend son regard plus profond.
Plonger dans son regard c’est effleurer la surface de cette insondable noirceur qu’elle abrite, lui donne à l’instant l’envie d’effacer toute trace de son existence, puis volte face, le puits sans fond de ses désirs troubles la retiennent à la vie. Elle veut un jour éprouver le silence des confins.
Le noir en elle prend sa place, elle tourne autour comme un lion en cage, autour, les rivages rassurants où les ombres dessinent des avenirs prodigieux, dedans, c’est l’étirement du vide, un pot au noir halluciné qui l’attire. Elle sait qu’y renoncer serait aussi chasser tout espoir d’attraper le désir par la queue, elle tremble de plonger dans cette part d’inhumanité où frémissent, prêts à surgir, les fauves Insatiables.

La vie rêvée de la Denise

Elle a fait des conneries, rencontré des salopards, croisé la route de vraies vaches de salopes, elle a menti, elle a volé, elle a trahi, elle a renié dieu, elle a prié pour le salut de son âme, plusieurs fois elle a risqué sa vie pour rire, elle a enterré pleins d’amis, abandonné un chien sur le bord de la route, elle a baisé avec des cons , elle a perdu beaucoup d’argent, n’en n’a jamais gagné beaucoup, elle a squatté des appartements, mis le feu à son matelas, elle n’a jamais fait de prison, mais elle en a une, à l’intérieur, qui la tient sur les nerfs, elle a aussi, planqué derrière sa cage thoracique, un trou noir, un jour elle tombera dedans sans faire exprès et ce sera la fin. Elle trouve qu’elle a une vie pourrie, et pourtant elle se marre tout le temps. Elle connait bien le léopard.

Où Denise a perdu sa clé

Elle se demande ce qu’elle a bien pu faire de sa clé.
Elle se tient là, interdite, le corps penché sur la gauche, elle réfléchit devant la porte fermée. Elle a fait une erreur ce matin en quittant l’appartement. Elle n’a pas réfléchi, a claqué la porte derrière elle parce que sa tête était loin déjà, en bas, dans la rue, au carrefour de la mort qui tue, ou peut-être un air de java bleue l’a distrait au mauvais moment. Denise, pourtant n’est pas du genre à se laisser distraire. C’est une mauvaise fin de journée pour elle, une contrariété de plus.
Elle se tient là, entre le vide et les ombres de la nuit, elle se dit qu’elle aimerait être dans son lit, dans sa maison, dans les bras de Suzanne, pas sur le pallier, sa clé perdue elle ne sait où.

(dé)routes

Voyage fulgurant de Josiane à la recherche de ses racines

Josiane tire la porte et tourne la clé dans la serrure, puis en regrettant le grand silence qu’elle emporte avec elle, ferme son anorak jusqu’au menton.
Elle recroqueville ses orteils contre les semelles bien dures de ses chaussures, et c’est bien, elle se sent vivante.
Josiane tourne le dos à son appartement et descend les cinq étages d’un escalier de pierre en comptant chaque marche : il y en a cent vingt par volée de douze. Ça fait une petite dénivellation.
Arrivée sur le trottoir,
Josiane grille une Chester, jette sa clé dans le caniveau et attaque l’ascension du Makalu, huit mille quatre cent soixante trois mètres d’altitude, gravit le 15 mai 1955 par Jean Couzy et Lionel Terray, âgés respectivement de trente-deux et trente-quatre ans.
Josiane en a quarante six.
Elle n’a pas une minute à perdre.
Josiane assise au pied des Alpes.
Précisément sur la tombe de Lionel Terray, le conquérant de l’inutile.
Elle chante à tue tête « Il mio refugio » de Richard Cocciante, allume une Chester, ce sera la dernière, fume trois bouffées et l’écrase sur la tombe du conquérant Lionel Terray de l’inutile.
A toujours quarante six ans, elle quitte la tombe de Terray Lionel, le conquérant de…
elle-même ne sachant pas si...
A digérer, il ne lui reste que
six mille neuf cent trois kilomètres pour atteindre le Makalu, cinquième sommet le plus haut du monde, une montagne isolée qui a la forme d’une pyramide à quatre côtés, assez semblable à la tombe de Lionel Terray, le conqué… le con-qué…
Mort.
Elle-même ne sachant pas si…

Alors en route.
En route et marche vite.
Josiane traverse l’Italie du Nord et mange de la polenta,
Josiane renverse la Bulgarie et danse la rutchenitsa.
Josiane pulverse la Turquie et joue du baglama.
Josiane transperce l’Iran et fête le Norouz.
Josiane dégorge l’Afghanistan et vomit son kâbab, son pas s’allonge au Pakistan, au Pendjab Josiane rencontre un nuage de fumée et aré Krishna.

Dans le climat tropical de la vallée d’Arun, Josiane fait une pause.
Elle va bien. Elle recroqueville ses orteils contre les semelles usées de ses chaussures et pense à la tombe inaudible du con mort, en querant l’inutile.
Ah ! Lionel est tombé…
ah ! Terray dans sa tombe
elle-même ne sachant pas si…

Josiane au camp de base enfin parvenue, lèche les flancs du Makalu.
A déjà quarante six ans
elle
Josiane
elle
s’étripe à renifler les odeurs tombées de l’échine de Lionel Terray
elle anonyme
lui pas,
s’échine pas à pas à endurer la tombée de ses tripes à jamais inutiles
ses suées dans les suées de Lionel Terrray.

8461, 8462, 8463…

Josiane agonise à la nuit tombante, dans la neige hors d’haleine, lui, l’ombre de sa main tendue l’accueille enfin dans son ventre.


Inspiré par "Les Conquérants de l’inutile" de Lionel Terray, Gallimard 1961, aujourd’hui réédité aux éditions Guérin.

Lecture des (h)auteurs

Agend’arts
19 novembre 2010

United colors of Ben'Etron

A mon frère de couleur
A ma soeur de colère

Dans un abri d'infortune
T'en va purger ton chagrin

Tout seul et sans les mots
Pour cracher ta viol'haine
A ce jeu qui perd gagne
Un balai et une serpillère
Pour laver les trottoirs
Où les caniches posent des merdes

Oh, jolie paquerette!
Tu poussais autrefois dans les champs de Sarcelle!

Négresse aux doigts qui puent
La Javel et la cire d'abeille
A c'qui paraît ton triste cul
Doit se réjouir de son sort
Ce cul qu'autrefois les anciens
Tortillaient en tendant vers le ciel
Des fronts hagards
Des oeillades confiantes

o trouble

allongés sur le dos
le sable nous faisait un tapis de paresse
les yeux roux de nina
buvaient l'eau des nuages
sa main faisait un paravent
entre le ciel et sa peau claire
dessinant
les ailes d'une abeille
entre deux graines
de beauté

Travail en boîte

La force de travail
on ferait mieux de la mettre en boîte
et de la donner à ceux qui n'ont pas la force de travailler
ainsi la force de travail serait utile à tous
en échange d'une boîte de force de travail
ceux qui n'ont pas la force de travailler
offrirait un litre de paresse
aussi la paresse serait utile à tous
on joindrait l'utile à l'agréable
il n'y aurait plus besoin de psychanalystes

Rhaps

Ce texte n’a pas de titre. C’est une rhapsodie. Une Rhapsodie du désir.
Avec un vrai morceau d’Arthur Rimbaud.

Dans le métro, le gars assis en face de moi, je le regarde.
Il parle à sa femme. Il parle à la femme assise à côté de lui dans le métro, je le regarde.
Sa femme, la femme assise sur lui dans le métro, assise, dans lui, je le regarde.
Le gars dit, « si c’est pour manger du poulet, c’est pas la peine d’aller au restaurant. »
Sonnée, la femme ouvre une bouche à gober d’un seul coup trois œufs durs.
Mais moi (soupir)
Moi en face, je le regarde.
Le gars écrasé sous la femme , le gars en face de moi dans le métro, je le mange.
Je le savoure. Je le pourlèche. Je le salive.

(soupir)

Alors en grand sursaut d’amour ma bouche lui jette : oui! je t’ai compris, nous sommes fait pour frire ensemble, allumer le gaz sous la marmite de nos démangeaisons gastronomiques !
Bazarde cette épouse qui s’indigère à te haïr ! Regarde moi ! touche mes mains : tu les aimes déjà… nos regards se marinent, on mouillera de sueur nos corps, ensemble nous cuirons nos laitances de carpe et nos foies de morue. Je tirerai au tonneau le jus de tes raisins, tu lècheras mon vin de bourgogne, on mêlera nos sucs, oui, prends ma main qui se tend, laisse toi m’aimer, je me chargerai de ton bonheur…

On ne peut pas faire mouche à tous les coups.

Il m’a dit… je suis psychiatre, je reçois tous les mardis sur rendez-vous, tenez, voici ma carte.
Et,
Avec l’air de celui qui ne va pas au restaurant pour manger du poulet il m’a dit : Venez à jeun.

A jeun. A jeun ? Ça m’a déclenché une colère dans la poitrine. J’ai dégainé et je lui ai collé un pruneau entre les deux yeux.

Un dégueuli de viande molle suinte sur la molesquine. Je saute sur le quai et cours droit devant moi.

Navrée, navrante, hors d’haleine et noircie de désir je me trouve au pied d’une façade en pierre de cathédrale.
Désossée, hors d’haleine c’est en cherchant à gober l’air du ciel que je l’ai vu, ouvrant large ses bras il m’accueillait enfin. Je le vois : chaque partie de son corps dit oui. Tu peux entrer, oui, chaque parcelle de son corps m’invite à pousser la porte. Je pénètre en lui.

Dedans il fait un noir de funérailles.

J’avance, je m’enfonce, je laisse entrer le noir en dedans, le froid dans les trous de mes oreilles, de mes narines, de mon ventre hors d’haleine.
Sous la nef glacée il est là, tout au fond, noir lui aussi dans sa robe avachie de corbeau, beau, beau, beau, une femme à ses côtés, laisse de ferveur tomber ses dents qui font un bruit de perle mat en roulant sur le marbre de l’église.
Oh ! la vieille, vieille, désolante punaise de sacristie.

J’avance, je m’enfonce. Comme il ouvre ses ailes je m’enhardis.
Il dit à la femme : « le pape lui-même en personne a reconnu l’intérêt du préservatif ! ».


Ces mots dans la femme, ça lui reste en travers de la gorge et, comme l’arrête du poisson sec ça la déchire, elle… gargouille une prière apostolique.

Mais moi, je sais moi je l’ai compris !
Je t’ai compris !
Mon crédule !
Mon malicieux !
N’est-ce pas ici que nous allons trucider ces caniches qui montent la garde au pied de ton autel ?
Nous nous aimerons de massacre, regarde le souffle sacré affoler mes cheveux d’ange !
Laisse-les monter de tes viscères ces chaos lumineux !
Regarde-moi ! Je suis ta sœur, je peux te sauver !
Viens, suis-moi : je saurai parfumer le puits de nos jouvences, mon beau, mon beau corbeau à la queue de serpent, laisse moi t’aimer !

On ne peut
pas
faire
la mouche
à tous les coups.

La bonne du curé m’a mordu à la cuisse.
Toutes givrées ces vieilles catholes, ces bonnes du cul, ces culs de bénitier. Elle m’a dit, avec l’air de celle qui n’a jamais léché un préservatif : « la confesse, c’est le dimanche à 14h, pas besoin de prendre rendez-vous ».
Confesse.
Confesse.
Confesse.
Ça m’a mis une tension de mille voltes dans le muscle cardiaque. Ni une ni deux, j’ai attrapé le cierge pascal et je lui ai crevé les yeux. Les deux.
Et lui, avant de m’enfuir, je l’embrasse,
Son corps si beau
Son corps si beau
Son corps.
Si beau.

« Comme je descendais des fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guidée par les haleurs
Des peaux rouges criards les avaient pris pour cible
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleur »

Et puis je ne sais pas j’ai continué ma route, j’ai suivi le flot des gens qui marchaient là en se tenant par les yeux, je ne peux pas vous dire madame la commissaire c’est mon enfance qui me tire par les cheveux
- Vous êtes belle
On a tous des voix, vous aussi certainement vous les entendez ces fripons dans la nuit n’est-ce pas leurs soupirs dérobés aux murs de la maison ce sont parfois des mélodies amères, lancinantes et profondes mes nerfs s’y agrippent comme le lierre aux ruines des châteaux …

- Vous êtes belle

n’est-ce pas
dans la nuit parfois des ombres se coulent au pied de votre lit vous soulevez vos draps et laissez glisser entre vos cuisses la caresse des ténèbres …

c’est bon de sentir enfin à portée d’âme les doigts de l’étrangleur qui nous délivrera du mal vous aussi, madame la commissaire, vous êtes belle quand vous me dites, avec l’air de celle qui porte l’uniforme, « autant garder sa peine pour repeindre en rouge le mur de sa cellule. »

En rouge à vos joues le mur de sang afflue, madame la commissaire, vous êtes bonne.
Je vous aime déjà.

Le périscope - Cabaret poétique #3
Dimanche 5 décembre 2010

Saint-Julien Molin Molette !

J’ai une copine, elle a eu des problèmes.
On l’a retrouvée dans un champ, les yeux bandés.
Moi peinard dans mon escaravane
Je tourne la manivelle de ma boite à cauchemar

Ce serait une fois, il ferasse nuit, sans un sourire de lune, pas la moindre lueur de poire.

Cette fille n’a aucune chance de s’en sortir. Sa langue est coupée net à la lisière de son palais.
Elle est dehors, dans un champ de blé embrouillé de cheveux,
Des cheveux
Une carte postale de cheveux
Un champ de champ de cheveux de traverse.
Je veux ces cheveux. Je veux cette fille moi, moi, moi-moi-moi, cette fille et moi Je trempe comme un vieux drap pendu à la fenêtre, je goutte à goutte, c’est pas dieu poss tant-tant sa nuque me connardise.

C’est une fille, peut-être un peu jolie
Ensemble dans les autrefois on sautait des frontières,
On s’essorait aux cordes à linge
Moi, la fille et moi on se drapait dans des plis de rivière
Les parents nous cherchaient mais nous, on s’enfourchait complètement

Elle a les yeux bandés il fait noir-noir sur le bord de la route
Comme on ne voit pas son visage, elle n’a pas pris une ride depuis nos aurores à califourchette

Elle bande
Je passe ma langue sur l’énectar de blés
Qu’elle a pris soin de mélanger à ses cheveux

Dénouez moi ce fil à couper les cheveux en quatre d’une fille qui s’ennuie à flétrir dans un nectar de vigne.
Loin, plus loin, au bout du bout du très bout dans mon escaravane je broute le minou d’une limace bleue. A la fin, on bavera de conserve sur la fille aux yeux célo-fanés.

Alors c’est ça l’histoire de cette fille ?

Non, il doit y avoir un mort quelque part
Elle a tué son père, elle a tant-tant honte qu’elle a dégobillé ses yeux.
Un mort sale, des morceaux, se dit-elle, tandis qu’elle s’escargote vers sa petite maison blanche.


Non, elle sort de chez le coiffeur,
Elle s’est fait des rajouts, ton sur ton, en plus frisé, un châtain clair tirant sur le nègre marron.

Non, c’est un garçon, il a les cheveux long c’est un adorateur de Jésus Christ. La caravane passe. Dedans sa bouche le vent aboie.

Non, non, non, c’est une bille, elle a roulé toute la journée
Elle s’est couvert de serpillière puis, de guerre lasse,
Braqué une banque en bande organisée
Maintenant elle a faim elle mangerait un bœuf

Non, c’est la cousine du père queutard, elle a perdu à la roulette
L’argent de sa mère avortive

Non, c’est une camée, le nez dans la poudre à longueur de fournée
Dedans son cul de pleine misère, plumardent les embourgeoisés

Non ! C’est la fille du caravansérail, une éventreuse de danse indigène, je m’en souviens elle se nombrilait au soleil en fredonnant des airs manouches et moi, moi, et moi, moi-moi-moi cette fille, je grattais déjà dans ses paumes les numéros du loto gagnant.

Non. C’est une madame sans gène et sans ADN. Une mémoire blanche garée là-haut sur le bord de l’autoproute.

Je l’appelle, et je lui dis : t’es nulle, tu touches plus une caravane
Lâche l’affaire, va relinger ta carcasse, t’es pleine de vices et fagotée comme une poutrelle.
Avant je voulais te construire un ciel de traîne pour qu’on y glandouille à toison. J’voulais ton beurre ET ta biscotte.

Puis tu t’en vas, puis tu reviens, et là, là, et là, tu veux jouer à colin maillard ?

Elle a opiné du bonnet

Ni une ni deuze

Moi peinard dans ma caravane j’ouvre la porte à mon cauchemar.

Semi-marathon des (h)
28-30 mai 2010

Zeus

Hier, comme je poireautais à l’arrêt d’un omnibus de la ville, ma curiosité fut piquée au vif par les bribes d’une conversation qu’un vieillard aux yeux de chat entretenait avec un enfant.
Ils étaient assis, et moi debout, de sorte que les mots remontaient à mes oreilles aussi aisément que les bulles d’un champagne tout juste débouché.

Je vous en livre une tranche, découpée à la volée entre deux percées de silence.

L’enfant : dit, papi Juju, avant toi y avait qui ?
Jupiter – car tel était son nom – eut une inspiration de grosse forge et dit : avant Ze, il y avait Cronos, l’ocre manzeur d’enfant, le père de Ze
Cronos, dit l’enfant… et avant lui, Cronos, c’est qui qu’y avait ?
Juju : avant Cronos, il y avait Ouranos, le père du père de Ze. Un père très très pérosse.qui haïssait ses enfants… du tranchant d’un zilex, son fils, Cronos, lui zoupa les zouilles.
… ouille…fit l’enfant, Ouranos a les couilles arrachées… wahou… et qui qu’y avait avant Ouranos, papi Juju ?
Gaia… La zère du père du père de Ze, la Zerre-mère, la zère de toute chose… la zère des Titans, la zère des Cyclopes et la zère des zéants…
… la mère de toute chose ? dit l’enfant. Trop de la balle… et avant ?
Avant : Khaos, le père de la zère du père du père de Ze. Zaos, la faille, la béanze, le grand rien, le tout dans le rien, le noir zotal, le milieu sans bouzole,, le vide immobile, le silence… le silence…
L’enfant taiseux, ne dit plus rien.
Zalors, repris le vieillard, le chaos se dilate, se tord, et pousse un grand cri… le premier cri du monde
Et alors, dis l’enfant ?
Zalors le règne des hommes zadvient et avec euz : le bruit…le buzzz…

Maintenant laisse moi, petit, Ze a des choses importantes à faire. Ze attend l’omnibus.
Tu vas faire quoi, papi Juju, hein, hein, hein, tu vas quoi faire ?
Ze va réveiller un volcan…
Ze va poussiérer l’atmosphère.
Ze va zendrier la terre.

L’enfant interroge : pourquoi tu fais ça papi Juju ?

Silence petit… silence… Ze va réveiller le volcan et dézinguer le vol con des zaéroblanes…
Ça fait peur, dis l’enfant.

Hier, comme je poireautais à l’arrêt d’un omnibus de la ville, ma curiosité fut piquée au vif… à moins que… bercé par les bruits de la ville, je n’ai piqué un somme et rêvé la peur de l’enfant dont l’ancêtre zézayait des zistoires à zormir debout.

Lecture des (h) à la Mapra, Juin 2010