dimanche 24 juillet 2011

Loyasse

Je me promène aujourd'hui au cimetière de Loyasse.
Un monsieur, perdu au milieu des allées, s'approche et me demande: "vous êtes d'ici?"
- Heu... Oui... mais le plus tard possible.
C'est tout ce que j'ai trouvé à lui répondre.

Une ville, 22h52

J’ai une machette
Dit un poivrot à un autre poivrot


Répond l’autre

J’ai une machette, moi. Moi, j’ai une machette.
Répète en boucle le poivrot


S’interdit de répondre l’autre

Et ainsi de suite, dans l’interminable nuit mouillée de ce milieu d’été.

Je ne sais pas, machette, ça que ça veut dire dans la bouche assoiffée du poivrot.
Mais massacre, oui, même en tremblant je te coupe en morceaux, même au fin fond de mon ivrognerie je te saucissonne la tronche, oui, même en vomissure de vinasse je te tranche les artères, oui, j’ai une machette, moi, moi, et c’est tout j’en ai une et c’est tout, j’ai une machette et c’est moi.

Sa voix rauque bouleverse la cambrure des arbres, dans la nuit pâlichonne de ce milieu d’été ils/platanes désolants- éteignent les feux allumés sous les bancs, allongent du silence.
Et s'apaisent, dans la ville assoupie, les colères cannibales (à minuit, tout est calme).

jeudi 21 juillet 2011

Balade au cimetière

Venez !
Viens !
Viens !
V’nez vous promener dans mon cimetière !
Allez ! soyez pas chien !
J’ai ma frontale !
On verra mieux les inscriptions et les photos des macchabés… O ! Pardon ! des disparus. Des chers disparus. Des disparus trop jeunes. Des arrachés à notre amour. Des anges envolés. Des petits papas chéris. Des épouses adorées. Des chers frères, o ! des chères chères défunts, des ci-gît, des disparus dans la tourmente, des regrettés maris et tout et tout et tout et tout…
Et toute une panoplie de bouches cousues, des avant-hiers scellés dans le silence des pierres.
Venez !

Viens !
Il est beau mon cimetière !
Les fleurs de novembre ont fini de sécher, ça sent bon, tu pourras frotter tes écorces à celles du vieil if, il y en a un, posé là depuis un siècle, si ! je te jure ! on l’entend rire, la nuit ! ça fâche un peu tous ces lilas qui ne passeront pas l’année, mais il s’en fout, l’arbre, il s’épanouit à la chaleur des macchabés, oh ! pardon ! des disparus, de nos chers disparus. Il faut dire que l’endroit est propice. Les vers une fois repus viennent en chapelet lui chatouiller les racines. Ah ! c’est bon de l’entendre rire !

Le représentant des pompes funèbres, sur un ton très solennel :
Une longue tombale plate, dégageant une ouverture suffisante pour le passage d'un cercueil.
Une stèle verticale en tête de monument pour recevoir de façon visible le nom de la défunte.
Un soubassement pour donner du volume au monument en rehaussant la tombale et la stèle.
Un prie-dieu ou une jardinière pour recevoir des fleurs ou des plantations.

Dépêche toi de choisir c’est embêtant à la fin, sapin ou chêne, granit ou marbre, tombe ou caveau, vite je n’en peux plus d’attendre là, entre deux eaux, un mot de toi et je traverse enfin.

lundi 18 juillet 2011

Garde à vue

DIVES SUR MER
26ème festival de la marionnette

Chantier de la marionnette

Thème : Catastrophe
Contraintes :
Votre texte ne fait pas plus de quatre pages, police 12
Il commence par « Vlan »
Il finit par « catastrophe »
Le vert sera sa couleur de référence
C’est un dialogue


GARDE A VUE

La scène se passe dans un commissariat de police.
Dans le bureau du chef : un enfant tout seul.
Une grande fenêtre donne sur la rue.
Une porte donne sur le couloir et les autres bureaux.
Les personnages sont : le chef, l’enfant en état d’arrestation, la sous-sous-sous brigadier Géraldine et le sous-sous adjudant Vautrin.

Vlan !

Chef
La fenêtre !

Geraldine (off)
Oui, chef.

Le chef entre dans son bureau. Il est très sûr de lui.

Chef
Tu t’appelles comment, t’as quel âge, d’où tu viens ?

Gazio
Bonjour, je suis petit, d’où je viens j’en sais rien et je me suis toujours appelé Gazio.

Chef
Tu es malade ?

Gazio
Pourquoi ?

Chef
Ton visage. Il est tout vert.

Gazio
Je n’ai pas trop envie de vomir, si ça peut vous rassurer.

Chef
Tu es en colère ?

Gazio
Un peu. Je ne me suis pas lavé depuis longtemps. J’ai de la mousse qui me pousse dans les trous de nez et dans le cul.

Chef
Je comprends. Moi aussi, ça me foutrait en boule…

Gazio
C’est pour ça que je suis en état d’arrestation ?

Chef
Disons que… Comment dire… Attends-moi là je reviens.

Le chef sort du bureau

Chef
Allo ? Passez-moi le ministre… Merci.
Monsieur le ministre on a un problème…. Il est dans mon bureau, oui. Disons dans les 12, 13 ans. Origine inconnue, couleur de peau suspect… Il parle français, oui… un français, républicain… Non, il n’a pas d’accent…

Vlan.

Chef
Putain ! La fenêtre !

Géraldine (off)
Oui chef !

Chef
Pardon monsieur le ministre. Qu’est-ce… oui. Il n’a pas d’accent. Sa couleur ? Hum. Il est vert. Un vert, comment dire : ça tire sur le jaune… comment vous dites ? Céladon ! Voilà : un vert céladon. C’est tout à fait ça, monsieur le ministre.
Bon. On fait comment ? Mes hommes deviennent nerveux…
Bla…bla…bla… secret défense… bla…bla…bla… opération prioritaire… bla…bla…bla… je vous baise les pieds, monsieur le ministre.

Le commissaire retourne dans son bureau. Il croise Géraldine dans le couloir.

Chef
Sous-sous-sous brigadier Géraldine : dans mon bureau.

Géraldine
Maintenant ? Mais j’ai le rapport sur l’explosion de la jardinerie de Dives sur mer à terminer, chef.

Chef
Rien à foutre de la jardinerie. J’ai besoin de vous là, maintenant, tout de suite.

Géraldine
D’accord chef. Si c’est urgent.

Chef
On a une bizarrerie de gosse sur les bras. Couleur indéterminée, nationalité douteuse. En pleine polémique sur les clandos. C’est urgent.

Géraldine
Oui, chef.

Ils rentrent dans le bureau.

Géraldine
Oh mon dieu !

Chef
Calmez-vous, Géraldine. C’est qu’un gosse.

Géraldine
Oui mais il a de la mousse qui lui sort par…

Chef
Je sais Géraldine. Bien. (Au petit) Gazio. C’est un nom, ça ?

Gazio
Je m’appelle Gazio. Dès ma naissance, je me suis appelé Gazio. Quand quelqu’un dit : « Gazio ! », je me retourne. C’est mon nom.

Géraldine
Mon dieu, comme il a mauvaise mine !

Chef
Tu vas à l’école, Gazio ?

Gazio
J’y vais tous les dimanches avec mon père.

Chef
Il n’y a pas école le dimanche.

Gazio
Ah. J’y vais les autres jours, alors.

Chef (en aparte à Géraldine)
Vous voyez, il délire : il dit n’importe quoi et en plus…

Géraldine
Il est tout verdâtre…

Chef
Il est vert céladon.

Géraldine
Oui, chef. C’est peut-être son régime alimentaire…

Chef
Tu as faim ?

Gazio
J’ai rien mangé depuis trois jours.

Géraldine
Mon dieu !

Chef
Ça te dirait un Jambon-beurre ?

Gazio
Gazio ne mange pas de jambon-beurre…

Géraldine (à part, au chef)
J’avais raison, il doit être végétarien…

Chef
Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?

Géraldine
Ou… végétalien…

Gazio
Une limace

Chef
Pardon ?

Géraldine
Oh mon dieu !

Gazio
J’aime les limaces bleues.

Géraldine
C’est dégoûtant…

Gazio
C’est PAS dégoûtant !

Chef(à part)
Faut pas le contrarier : allez lui chercher une assiette de limaces bleues.

Géraldine(à part)
Mais… je… où je vais trouver ça, moi.

Gazio
(Voix calme, un peu inquiétante) Il y en a plein les rues, sous les pompes à incendie.

Chef (à Géraldine)
Vous avez entendu ? Allez lui chercher ses limaces.

Géraldine
Oui, chef. Mon dieu, il a pas l’air accommodant, le gamin…

Chef (Au gamin)
Toi, Gazio, tu ne bouges pas d’ici. Je reviens.

Le commissaire sort de son bureau

Chef
Allo ? Passez-moi le ministre… Merci.
Monsieur le ministre ça se complique… ça ne ressemble à rien de connu…. Vous avez raison, monsieur le ministre. On n’est jamais trop prudent. Je vous lèche les bottes, monsieur le ministre. (il raccroche) Vautrin ? Vautrin !

Vautrin
Oui, chef ?

Chef
Appelez nos gars de la sécurité intérieure. Qu’ils activent le plan « requin marteau » dans un rayon de 120 kilomètres autour du commissariat.

Vautrin
Mais… chef, je suis en train finir mon rapport sur l’attentat du Jardiland de Caen ! Vous m’avez dit que ça pouvait pas attendre, chef, faudrait savoir…

Chef fait les gros yeux

Vautrin
Bien chef. C’est vous le chef, chef.

Le commissaire rentre dans son bureau. Il fait de plus en plus chaud. L’enfant est de plus en plus vert.

Chef
Il fait une chaleur à crever ici. Si ça t’ennuies pas j’ouvre un peu.

Gazio
J’aime bien quand c’est ouvert.

Chef
Très drôle. Et maintenant, Gazio, à nous deux.

Ils se regardent en silence. L’enfant toussote. Ça fait sursauter le chef.

Chef
Tu fais le malin…

Gazio rote. Le chef sursaute pour la deuxième fois

Gazio
Ça me pousse à l’intérieur

Chef
Quoi. Qu’est-ce qui pousse.

Gazio
De la mousse. Des arbres. Je ne sais pas. Ça veut sortir mais ça peut pas. C’est coincé (il rote encore).

Chef (voix suave)
Gazio. Mon petit. On ne te veut aucun mal. Ici, - en bas – au sous-sol - dans la cave - il y a des médecins. Tu veux voir un médecin ?

Gazio
J’aimerais mieux rentrer chez moi.

Chef
D’accord. Pas de problème. Promis. Tu me dis d’où tu viens et tu rentres chez toi. Garanti sur facture. Top là.

Gazio
J’habite une maison par semaine. Ça dépend.

Chef (à part)
Et merde. Un enfant du voyage. Manquait plus que ça.
(à Gazio) Une maison par semaine ? tu en as de la chance… elles sont où tes maisons ?

Gazio
Ça dépend… c’est pas fixe.

Chef (en s’énervant)
Comment ça « c’est pas fixe » : une maison c’est fixe ! ça a des fondations, c’est posé, ça s’envole pas une maison. Ça se repère. Tu comprends, ça se contrôle une maison ! Une maison qui bouge tout le temps c’est pas une maison !

Vautrin entre en trombe.

Vautrin
Chef ! chef ! ça a pété ! ça a encore pété !

Chef
QUOI ? Putain de bordel de merde. Je t’écoute…

Vautrin
Sur le secteur 4. La sous-sous-sous brigadier Géraldine était en train de démonter une pompe à incendie… et PAF ! ça lui a pété dans la gueule !

Chef
Ah le sale petit morveux…

Vautrin
Tenez chef ! c’est tout ce que j’ai pu récupérer…

Vautrin tend un bras sanguinolent au chef. Dans la main crispée : une limace bleue. Chef est pris de tremblement.

Chef
Toi, reste ici. Surveille le môme. J’en n’ai pas pour longtemps.

Vautrin
Chef. J’ai peur chef.

Chef
C’est qu’un gosse, Vautrin. Un gosse.

Vautrin
Il est de plus en plus vert, chef.

Chef
Vautrin…

Vautrin
Bien chef.

Chef sort de son bureau

Vlan !

Chef
Et fermez-moi cette putain de fenêtre !

Chef
Allo ? Passez-moi le ministre… Merci.
Monsieur le ministre, mauvaises nouvelles… Hein ? Il est vert comment ? Et bien à présent : il est vert foncé. Vous dites ?...
Vert châtaigne ? … Si vous voulez monsieur le ministre. Dans ce cas je vous propose : kaki. Non ? Alors : vert de gris… Non plus ? Cependant et sauf votre respect, monsieur le ministre, le vert châtaigne est un peu plus… marron, or le gosse n’est pas marron. Il est vert. Pardon ? Ah. Vous insistez sur la châtaigne ? (il a une illumination) Mais bon sang mais c’est bien sûr, monsieur le ministre. Je vous ai entendu, monsieur le ministre ! A vos ordres, monsieur le ministre.

Le chef revient dans son bureau, tout guilleret.

Chef
Cette fois je le tiens. Vert châtaigne. J’adore les châtaignes. J’adore distribuer des châtaignes. Monsieur le ministre, vous êtes un génie.

Le bureau est vide.
La fenêtre est fermée.
Vautrin est sonné, seul au milieu de la pièce, il tient une plume verte dans sa main.

Chef
Il est où ? le gosse ! Il est où ?

Vautrin
Il… il s’est envolé…

Chef
Il s’est envolé.

Vautrin
Par… par la fenêtre.

Chef
Il a sauté ?

Vautrin
Non, chef, il s’est envolé.

Chef
Il s’est écrasé en bas ?

Vautrin
Non, chef, il s’est envolé.

Chef
Il avait une corde, un parachute, un complice ?

Vautrin
Non, chef, il s’est envolé.

Chef
Comme ça ? Sans un mot ?

Vautrin
Il a dit : merci pour la limace et il s’est envolé.

Chef
C’est une catastrophe.


FIN

jeudi 30 juin 2011

Pattes

Le soir la nuit quand il fait noir arrive le temps des araignées.
Sournoises, pattues, elles s'entreglissent dans la moiteur de tes aisselles.
A peine te touchent, ne te saisissent rien, te frissonnent une caresse à la lisière de tes cauchemars.

Un désespoir

Heu...
Mon cœur bat plus vite que les ailes d'une mouche (quand je t'aime).
Quand je ne t'aime pas, mon cœur bat moins vite que les ailes d'une poule.
Heu...
A certaines heures de la nuit (quand je t'aime moins), tu t'en bats les couilles.

vendredi 17 juin 2011

Poutre

A mon réveil ce matin, j'ai cru que j'avais un cancer du poumon. Ma première pensée est allée vers cette poutre qui habille mon plafond. Regarde là bien cette poutre, tu n'en as plus pour très longtemps. A 10h15, mon médecin m'a dit d'une voix suave que ça nétait pas si grave. J'étais contente pour ma poutre. J'ai bu plus que de raison pour fêter ma guérison. Une question, bizarrement, est restée en suspend: dans quelle forêt a-t-elle poussé? Où sont passées ses racines? Oh, ma poutre. Ma chère poutre. Condamnée à perpétuité sur ce plafond solitaire.
Je me suis mise à aimer les échardes.
Devenue bigleuse, mon horizon se borgne à ce bout de bois arraché à une ancienne forêt. Le cancer ne me tuera point.

samedi 21 mai 2011

Vile ville

La ville est un enclos.
S’affrontent sans arme les passants par pure vengeance, tout le monde n’est pas né sous une bonne étoile.
Le but est de désarçonner le péquin d’en face, celui par qui la mouise s’incruste durablement sous la peau:
Je t’aime, je ne rentrerai pas ce soir.
Je travaille sous tes ordres, je sabote ton entreprise.
Je vends des légumes, je te refile les patates pourries.
Je te paye, je te négocie.
Je te soigne, je te fais souffrir.
Je te coiffe, je te tire les cheveux.

Et ainsi s’égratignent les filles et les garçons dans l’enclos de la vie où il est impossible de ne pas se frotter.

Energie renouvelable

J’ai une course à faire. Un genre de course à laquelle je ne peux pas déroger. C’est aussi une course contre la montre, entre la vie et la mort, un défi lancé à la face de ma gueule, oh, pas grand-chose, je dois au magasin de la rue du marché aux fleurs rapporter mon vieil aspirateur usagé, recyclable en vertu des nouvelles normes du développement durable.

Regardez la. Quatre mille grammes de boîte crânienne, vingt-sept dents plus ou moins fausses, le tout posé sur 45 kilos d’esprit de contradiction, ayant suivi une formation « conception en mécanique industrielle » devenue spécialiste de l’agencement et du prototypage, c’est vous dire si la résistance des matériaux n’a pas de secret pour elle. L’aspirateur a rendu son dernier souffle, c’est un fait scientifiquement avéré. Elle doit se rendre à l’évidence.

Cette course, je la ferai. Prudemment. Avant potron minet. Je dois m’assurer de ne pas croiser le regard des poissons. Des bancs de poissons aux heures de bureau nagent en tout sens, à l’unisson. Dans l’enclos étriqué de la vie, c’est imprudent. Je ne suis pas audacieuse. Regardez-moi : un mètre soixante cinq de phobie sociale.

J’attends depuis vingt-cinq minutes l’ouverture des portes.
J’ai déposé l’aspirateur à mes pieds. Je ne quitte pas des yeux le clochard allongé sur le banc, à peine huit mètres nous sépare. Il ne nagera plus jamais à l’unisson des courants de la ville. Il n’existe pas de machine à recycler les débris obsolètes. Echoué sur le sable, il pourrit à la juste mesure du lever du jour. Un air de quadrille joyeuse accompagne le gonflement des marées mais nous résistons, lui et moi, ficelés au bastingage, cherchant à éviter les effluves âcres des rues vaseuses.
Ouverture des portes.
J’abandonne mon appareil électroménager sous le panneau « recyclons nos déchets ». J’ai failli vomir quand un homme d’une trentaine d’année a posé sa pince de crabe sur cet objet qui m’a rendu de si précieux service. Je quitte le magasin très abattue. A quelques pas de là, le clochard continue tranquillement de fondre comme un morceau de beurre au fond de la crêpière.
Je ne sais pas vous mais moi, ça m’ouvre l’appétit.

dimanche 27 mars 2011

Vive l'amitié franco-allemande

Des doigts en fer arriment la rive allemande à la rive française. On ne voit plus le ventre gonflé des noyés, les vieux guerriers sont repus. D'un jardin à l'autre, le Rhin goutte à goutte, l'air de ne pas y toucher.


On peut trouver l'architecture contemporaine tout à fait pertinente pour dresser un pont entre deux rives (Passerelle de Mimram, entre Strasbourg et la ville allemande de Kehl).
On peut aussi préférer Tomi Ungerer.

L'amitié franco-allemande et la coupe du monde de football (2006): bordel géant à Berlin...

mercredi 9 mars 2011

Une tragédie #3

Heureux, Georges, offert à ses sauvageries d’enfant, parce qu’il ne sait pas que c’est sa dernière fois.
Son visage séduit une jeune et grosse fille accoudée à un bar, une grosse et jeune adolescente rendue à son troisième fût de bière tiède. Il sait, avant même d’avoir fichu son sexe dans le bourrelet de son ventre qu’elle sera tout entière à lui, la grosse, sa graisse, son sourire poupin, ses fûts de bière, tout, il prendra tout, jusqu’à son odeur écœurante.
Sourire de carne aux lèvres, il pose ses mains sur le zinc poisseux, rue de la joie, dans le village de la soif. Ah, Georges, Georges… nul homme digne de ce nom ne pourra te reprocher tes enfantillages. Un peu plus tard, une fois vomis les matins de beurre rance, tous savent bien qu’aucun bourrelet de tendresse ne peut faire oublier la tristesse d’une débandaison précoce. Mais tous, la queue gonflée d’humanité, tous, sans exception Georges, referont au soir le geste préhistorique de la queue noyée dans un bourrelet de graisse. Pour l’honneur.
C’est exactement ce que tu fis ce soir là, pour la première et la dernière fois de ta courte vie.

mardi 8 mars 2011

Où Denise rencontre enfin le léopard

Mieux vaut ne pas l’inquiéter.
Rester assise, immobile à quelques mètres de lui et le regarder me regarder.
Il est couvert de poils jaunes et noirs, ça lui donne l’air de ne pas en être, de ne pas être de ce monde ci, en tout cas d’arriver tout droit d’une savane à part entière, sans arbre, mais débordant jusqu’à la moelle de rivières de sang, de lambeaux de chair.
Son nez… Je n’ai rien à en dire.
Il n’a pas vraiment un nez. Une gueule, ça oui, il en a une. C’est une sacrée gueule, d’orgasme et de perdition, comme s’il était possible d’avoir l’un sans l’autre.
Il a des yeux exorbités, comme le vide, tout autour de lui. J’attends que nos respirations s’harmonisent. Et puis : « à quoi tu joues, dis moi, c’est quoi ce jeu ? »
D’usage, la réponse : « ce n’est pas un jeu », mais articulé avec les dents, ça devient impressionnant.
- Saloperie. Il y a un interphone en bas. Comment t’es rentré ?
- J’ai appuyé sur tous les boutons
- Vache. Tu as l’intention de…
- Non
- Ah… Ouf…
- En revanche…
- Quoi ?
- Je voudrai que tu vides ton sac.
- Que je…
- Que tu dégoises, que tu balances, que tu déterres la merdasse, que tu ailles la chercher au fond du tréfonds de ton trognon, que tu y laisses un ongle ou deux, je m’en fiche. Pas mon problème.
- C’est tout ce que tu as à me dire ?
- C’est pas déjà pas pas pas si mal, non ?
- Comment tu t’appelles ?
- Un mélange de douceur et de viande saignante.
- C’est pas un nom, ça.
- Denise non plus, c’est pas un nom.
- Denise c’est un nom. Sainte Denise c’est dans le calendrier des saints. Ma fête, c’est le 15 mai.
Il a une gueule de léopard, je vais donc l’appeler Léo. Que ça lui plaise ou non.

dimanche 20 février 2011

Une tragédie #2

Il arrive, Georges, de colère tout revigoré. Le Village de la Soif lui ouvre grand son ventre. Sa langue lèche le trottoir, la lune le cueille à sa pleine chaleur. C’est à peine s’il percute les enseignes barbares dont les flashes aiguillonnent la nuit de fusées jaunes et rouges. Loin derrière ses humiliations maternelles. Loin, jetée dans le pot au noir, la fessée hystérique de la porte claquée sous son nez, sous son nez, la porte claquée sous son nez, je ne veux plus te voir de la journée, grinçait-elle, cette porte fessée, loin derrière, je te hais.
Avenue de la Joie, tra-la-la! Je te haie d’aubépines, longeant troènes et thuyas, je te haie! Je mangerai à pleine gueule ton berceau de baies sauvages, je te haie! Enfin rendu à mes quinze ans, je vivrai sans toit, sans mère, enfin franchie la haie du Village, du Village de là là lère, du Village de la Soif, aglou !!!

Ainsi nous mène-t-il, Georges, tout de colère dégoupillé, entre deux haies de roseaux italiques.

Chateau Gaillard #2

Denise parle. Château Gaillard est un radeau. Echoué d’une histoire ancienne. Il n’en reste rien ou presque, qui saurait nous frapper de sa toute sur-puissance .
Moi : A quoi me pendre au milieu de ces ruines. Je ne vois là qu’une plaie refermée d’où s’échappe une douleur de naguère. Je pense mes pieds : ils se plient à la main de Denise, si rousse en ce jour noyé d’ailleurs.

Je crois que c’est ici que je suis morte.

Elle m’a très doucement poussée vers la brèche. Un trou vert à peine triste, je ne me suis pas alarmée, j’ai du peut-être lui glisser un regard tiède, me suis laissée couler entre les pierres, dessous la terre ramollie par les derniers jours de pluie.

Tout à l’heure nous devions pêcher ensemble, elle me l’a promis, ça devait lui rappeler son enfance, elle me l’a juré, ça lui courait dans les jambes depuis des mois, elle me l’a craché, nous devions poser nos deux culs côte à côte c’est comme ça qu’elle me l’a vendu, nos deux culs splendides à même la terre de Normandie ou putain Richard Cœur de Lion dans les autrefois et moi aussi, petite fille…

Pourquoi m’a-t-elle enterrée là, je ne le saurai jamais.
Si vous pouviez chercher pour moi…

samedi 19 février 2011

A la Saint Cheval

Petit poème à la saint cheval, qui est l’équivalent, chez nos amis les pur-sang, de la saint- valentin

Josy, ferme un peu ton claque nouille et dégrince ta boite à chouine
Fais moi pas le coup d’la marinade
Soit chevrette, Josy, renclapote ton flutiau et sourcile enfin ta pelure : mate Josy, mate ! Te me fais givrer les édredons
On s’marinaient d’amour, tantôt
Ça t’en retrace ?
Encore une vachardise et j’tire un trait sur tes chandelles
Allez, Josy,
Acouvre toi dans ma colline, que ça nous regonfle la nuit
Tout baignés de vive-argentine on gigouillera la porcelaine
On s’embrumera jusqu’à l’orange

On n’est pas né du dernier joint, Josy !
Sois pas gaulette
A miroirer dans ta salière tu va m’épuiser l’ostensoir
Allez, Josy ! Défringue !
Je te jure qu’à la saint cheval
On s’en mettra plein les jasmins

Et c’est tout ce que ma langue à trouvé pour faire plier Josy.

Le Périscope
Cabaret poétique #5
Dimanche 20 février 2011 (en pleine révolution)

Rock à Givors

Givors
Dans la vallée du Rock,
On me dit:
Va !
J’y vais.
Givors. L’empire du rock ou le rock en pire, fallait voir.

A l’âge de fer les gars
Plantaient des clous dans les vinyles
Ça piquait des abeilles au sillon des micros
Fallait voir.

Moule couilles et torse- poils
Le gars de là et pas railleur
Roule sa pierre sur la route
Et mouille sa crasse
Et fracasse le riff au plafond des MJ
MJ –Vorace
Le gars.
Coriace.

Le gars.
Manar.
Des cheveux plein le casque
Le gars noir si noirci
Fallait voir
GA-NA-FACTORY-FOUL
Défoule
Délire de soul
O, gana fou sorti d’usine




Du plomb dans les amplis
Du son transpire au travers de la peau
Pelure de mots échappés des voies ferroviaires
A l’âge de Lucifer
Les gars
Désirent du rock-feller
Et des spots
Spots
Spot light
Roulez jeunesse

Les gars.
Fallait voir.
Heavy métallos noirs
Aux oreilles électriques
Speed speed et funk
Et black
Crachent l’eau du fleuve
Et flac
FLACTO-FOUL-GA-RY-NA
Flac
Ça coule et la sueur

Creuse un lit de vidange où viennent en masse s’éponger des groupies atomiques

Givors-dine dans la nuit phare
End of night

Givors.
On me dit:
Va !
J’y vais.

FOULSTORYGANAFAC
Et fuck

lundi 7 février 2011

Ce que je peux dire de Germaine

Dans le trou, ou l’histoire d’une légèreté retrouvée

Germaine sort de chez elle, péniblement ouvre la porte phacochère et faufile sa silhouette d’arpète sautillante dans la rue des Quatre Pierres.
Là elle y a grandi, là elle s’y est mariée, là n’a-t-elle pas mis au monde six enfants dont un mort-né ?
(qu’elle a pris soin de conserver dans un bocal).
Là elle a bu du rhum et coinché avec ses voisines, à ce jour toutes également cadavrée ou « en maison ».
Toujours coquette elle est habillée en ce dimanche anodin d’une tenue violine, autour de son cou a enfilé des rangés de bimbeloteries, s’est coiffée d’un bibi de couleur gris piqué de petites cerises et autres sottises de ce genre.

Elle remonte la rue, l’estomac tendu vers le thé de cinq heures, chaque semaine sirotant ainsi sa retraite chez la cousine Fernande, de quinze ans sa cadette.

On la salue, on s’inquiète de sa santé, on lui glisse de gentils sourires, Germaine répond poliment mais n’en a cure, trouvant le monde bien hypocrite.
Le boucher, surtout, qui a refusé la semaine dernière de lui faire crédit pour une tranche d’un faux-filet exhibé de façon indécente sur son étal.
En rêve, Germaine l’a plusieurs fois démembré jetant aux chiens les morceaux les plus gras.
(Sourire) Comme elle se plait à imaginer de ce lourdaud chevillard, les chaires molles violemment déchirées.
Bien que parfois, le chien mette à se nourrir plus d’aristocrates manières que nombre de bourgeois éduqués.

Ainsi va Germaine, à petits pas prudents, en apparence inoffensive mais dissimulant en son for intérieur un étang sombre et profond, un abri propice aux monstrueuses noirceurs du monde.

Un chat, un chat tigré, un chat débordant de fourrure et flânant à la douceur des pavés, un chat donc, se faufilant entre ses jambes, manque de la renverser.
Petit cri pointu de Germaine. Le premier de la journée.
Le chat s’excuse et dans un frisson de moustache lui conseille la plus grande vigilance.
A quelques pas d’ici, un camion de la British Petroleum a vidangé sa cargaison. La chaussée est glissante. Les pompiers sont sur les dents.
Germaine le remercie et promet de marcher avec beaucoup de précaution.
S’emporte alors le chat sur l’inconséquence des hommes, ces imbéciles, incapables d’inventer le coussinet et sa griffe rétractile, mécanique pourtant fort utile en de pareilles occasions.

Germaine, s’étant coupé les ongles le matin même, se gratte le nez, puis chacun poursuit son chemin.

Germaine pense à tout ce qu’elle aura de catastrophes à raconter à Fernande, se réjouit des biscuits qu’elle mangera bientôt, ressent une douleur diffuse dans le genou gauche, o, trois fois rien, se souvient d’un prochain rendez-vous chez son médecin traitant, il est joli garçon, il ressemble à son premier amant, il est un peu timide, il ne fait pas attendre ses patients, il a des lèvres bien dessinées, il sent bon, il a du poils sur les avant-bras, il la caresse dans le dos, il doit aimer le parchemin, il fume, il son corps, est un arbre, il doit déborder de sève, il…
Et qué sera sera.
Germaine glisse, rien ne peut la retenir, d’ailleurs elle ne tente rien, s’abandonne, se laisse entrainer par le léger dénivelé de la rue des Quatre Pierres, tangue entre deux vague de badauds médusés, laisse les courants de la ville la mener au bord de l’abyme.
Son sac à main offrant un empennage de qualité, aucune terreur ne vient gâter sa lente dégringolade, elle glisse, Germaine, confiante, vers l’exorbitante ivresse de l’inconnu.
Puis tombe enfin, dans un trou que les « agents d’entretien voirie » n’ont jamais refermé malgré les nombreuses pétitions des habitants du quartier.

Sa chute dure huit minutes, un laps de temps suffisant pour apprécier toute la beauté des ténèbres qui doucement se referment sur elle, s’insinuant dans les profondeurs de la terre. D’abord c’est un gris tendre, puis les feux du jour s’inclinent devant l’évidence des ombres, elles se disputent encore quelques menus clartés, puis enfin c’est le noir, le grand rien tendu entre deux éternités comme une cape de matador.

Germaine est tirée de sa rêverie par une méchante douleur à l’épaule, quand la lanière de son sac à main la retient brutalement à une tige de bois débordant les parois du puits.

Petit cri pointu de Germaine, le deuxième de la journée.
Puis, reprenant ses esprits : « me voilà coincée dans les souterrains du monde intérieur, pense-t-elle, quelle chance inouïe ! »

Dans une anfractuosité, elle parvient à assoir sa fragile carcasse.
Nullement ébranlée, la voilà parvenue à un degré de lucidité tel qu’elle ne peut s’empêcher de plaindre sa cousine Fernande qui à n’en pas douter se laissera mourir de chagrin.
Puis de manière définitive cesse de penser à toutes ces choses lourdes et vulgaires, comme les regrets, l’amour ou la pitié, ou le thé de cinq heures ou les promotions exceptionnelles sur la viande bovine en provenance d’Angleterre.

Un temps.
Elle se recueille.
Alors son regard se porte sur les ressacs ignorés de sa conscience, et peu à peu explosent à la surface ses sauvageries adolescentes. Un crabe à grand coup de machette déchire son ventre.
Surprise.
Au pas de l’oie avance des lointains horizons une armée de poignards.
Confusion.
Le singe bleu des grandes enculeries s’empale sur les lames avides de trahison.
Extase.

Je suis dans cette chausse-trappe à côté du paragraphe de ma vie.
Ce sentiment d’être dans la marge, à l’essentiel, dans l’invisible rempli de tabac, de balançoires épuisées de rouille, de rongeurs affamés, tout ce capharnaüm dessinant à traits rageurs l’en-dedans de ma préhistoire.
Moi qui toujours aie eu en horreur les espaces démesurés, je suis dans le petit, au cœur de l’infini.

Germaine, légère, entonne un chant aborigène.
Elle offre à la nuit qui l’accueille sa voix d’arpète sautillante. S’élevant le long des parois, ce filet d’eau vive s’épanouit à la lumière des rues, sautille d’un trottoir à l’autre, et tous ces piétons hagards de lancer à la face du ciel leurs mines incrédules, seul le chat dans ce grand chaos amnésique, saura reconnaitre le chant du poète.

Le Périscope
Cabaret poétique #5
Dimanche 20 février 2011 (pendant le massacre des lybiens)

dimanche 23 janvier 2011

Une tragédie #1

Georges est mort.
A la suite d’un concours de circonstances bien étrange.

Ce matin là Georges en se réveillant était de bonne humeur, une nuit d’amour griffait ses joues.
L’inconscience, sans doute, ou le trop de confiance en lui, ce qu’il a fait ce matin là… s’assoir, enfin poser son cul, dira maman, sur son fauteuil à elle, ça… grands dieux, ça n’est pas acceptable.

Seigneur Jésus et tous les saints, allez, hop, dégage, vas-t-en, tu sais très bien que… allez ! hop ! hop ! hop ! je ne veux plus te voir de la journée !
Et elle claque, vlam ! la porte derrière le pauvre Georges, 15 ans, une belle nuit d’amour dans les pattes.

Ainsi part-il de la maison, chassé, chassant on ne sait quoi, mais dans l’esprit des pensées complexes.
Une petite envie d’en finir avec tout ça lui noie l’âme un court instant, mais c’est comme s’il buvait un verre de lait : ça l’écœure. Il passe outre.

Au lieu d’emprunter, comme à son habitude, la Rue de la Pompe-à-nœud, il choisit de bifurquer vers l’avenue de la Joie. Coupée en deux par le Village de la soif, c’est un morceau de ville où les filles de grande vertu applaudissent aux exploits des chiens égarés. On s’y pourlèche d’amour éperdu, pour quelques francs six sous la honte déserte les trottoirs, c’est à peine à cinq cents mètres du monde commun mais c’est ailleurs, plus haut, ou en dessous. Pour ainsi dire, dans le Village de la soif, les tables de la loi, on chie dessus.

Georges marche encore mais sur la jante. Les pneus crevés, à bout.
Plus d’essence. Réservoir à sec.
(Ça va bien la métaphore ? Tout le monde a compris ?)

Au même moment, à sec également, mais quelques rues plus loin, le poète chasse la métaphore. Un rideau mou dans son ventre, des traits de plume rayent le bois de sa table, il est en bas de la colline et l’horizon s’échappe à grands coups d’ailes rageurs. Il cherche le rapace qui l’immolera dans l’Olympe.

Georges a froid mais ne rentrera plus chez lui. Il trace. Il écrit avec ses pieds le dernier chapitre de sa vie.

mercredi 19 janvier 2011

Château Gaillard #1

Voilà alors qu’un jour Denise et moi nous partons.
C’est un voyage de la réconciliation soit disant, mais mon œil enfin je veux bien y croire. Je veux bien encore une fois croire aux trainées de poudre de perlin pinpin qu’elle disperse tous les soirs dans mon lit en mettant double dose sur mon oreiller. Poudre d’oubli, odorante à la rose, poudre de maléfice, une pincée suffit pour que s’allègent de mon panier de douleur: tromperies, crachats et pinces de crabe.
Alors soit, nous partons.
Et nous y sommes, transportées d’amour l’une et l’autre, riant à la Seine et à ses boucles vertes, main dans la main gravissant le sentier qui mène à Château Gaillard.
Je me demande pourquoi sans oser lui demander, Denise ne fait rien par hasard.
Mais je dis ça, après coup : j’aurais du me méfier.

L'enfance de Denise #1

Quand j’étais une petite fille, il y avait la guerre quelque part, entre ma chambre et des champs de bataille loin, par là-bas.
Un jeudi, après le couvre feu, un obus a traversé le salon.
La maison trouée avec une précision chirurgicale ouvre d’un coup sur la ruelle sombre d’un côté, sur l’horizon des champs de blé au sud. La maison éventrée me ressemble. Je suis ouverte à tous les vents, un trou à la place du ventre.

L'enfance de Denise #2

On est à table. Maman a calfeutré les murs comme elle a pu, avec des cartons ramassés dans la cave. On dîne en silence, on ne doit pas attirer l’attention, n’importe qui pourrait entrer, pousser les cartons d’une pichenette et s’inviter chez nous. Papa a les yeux dans le vague, il a la tête de celui qui cherche la solution et qu’il ne faut surtout pas déranger. Alors on fait attention à ne pas entrechoquer les couverts sur l’assiette, on mâche doucement, on avale sans précipitation. Il se racle la gorge, sans se concerter la famille interrompt sa mastication, nous posons nos mains sur nos genoux et nous tendons vers lui le visage des enfants soucieux.
« Voilà. J’ai bien réfléchi. Il n’y a pas trente six solutions, j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je n’en vois qu’une. On part. »
- Partir ? (silence) Pour aller où ?
Maman dit ça dans un souffle, au bord des larmes, elle a grandi dans cette maison, c’est toute sa vie.
Papa la fusille de regard, la voilà transpercée elle aussi, comme la maison, une bourrasque s’engouffre dans sa poitrine et manque de la faire basculer cul par-dessus tête.
Une pichenette, le regard de papa, mais maman, la voilà glacée d’effroi.
Elle finit par se ressaisir, après une petite valse son corps se raidit, elle se redresse, gonfle la poitrine, pose ses mains sur la table bien à plat, ses doigts tremblent.
- Seigneur Jésus on ne peut pas, Dieu m’est témoin on ne trouvera nulle part où … la foudre ne tombe jamais deux fois sur… et les enfants, comment vont-ils…
Maman jette sur nous un regard de douleur ou de haine, on ne peut pas savoir, implore notre aide, mais moi je veux bien partir, ce n’est pas chez moi qu’elle trouvera du soutien, pas cette fois.
Et bien dis papa, nous sommes en démocratie, on va voter. Qui veut partir ?
On ne sait pas ce que c’est la démocratie. Partir, on ne sait pas non plus. Alors on lève la main. Sauf maman.
C’est comme si un troisième trou s’ouvrait sous ses pieds, elle rapetisse, je la vois perdre les pouces de sa taille, elle devient toute petite, à peine visible, à croire qu’elle a la faculté de s’aspirer de l’intérieur, et puis quelques minutes se passent et maman a disparu, aspirée par le coussin de sa chaise.
Et bien, dis papa le peuple a parlé. Faites vos valises, on part demain.
On a laissé la soupe refroidir dans la marmite et couru dans nos chambres.
Maman n’a plus donné signe de vie.

dimanche 16 janvier 2011

Denise noire

Le trou noir, c’est l’obscurité en elle, un vide sans contour et c’est ce qui rend son regard plus profond.
Plonger dans son regard c’est effleurer la surface de cette insondable noirceur qu’elle abrite, lui donne à l’instant l’envie d’effacer toute trace de son existence, puis volte face, le puits sans fond de ses désirs troubles la retiennent à la vie. Elle veut un jour éprouver le silence des confins.
Le noir en elle prend sa place, elle tourne autour comme un lion en cage, autour, les rivages rassurants où les ombres dessinent des avenirs prodigieux, dedans, c’est l’étirement du vide, un pot au noir halluciné qui l’attire. Elle sait qu’y renoncer serait aussi chasser tout espoir d’attraper le désir par la queue, elle tremble de plonger dans cette part d’inhumanité où frémissent, prêts à surgir, les fauves Insatiables.

La vie rêvée de la Denise

Elle a fait des conneries, rencontré des salopards, croisé la route de vraies vaches de salopes, elle a menti, elle a volé, elle a trahi, elle a renié dieu, elle a prié pour le salut de son âme, plusieurs fois elle a risqué sa vie pour rire, elle a enterré pleins d’amis, abandonné un chien sur le bord de la route, elle a baisé avec des cons , elle a perdu beaucoup d’argent, n’en n’a jamais gagné beaucoup, elle a squatté des appartements, mis le feu à son matelas, elle n’a jamais fait de prison, mais elle en a une, à l’intérieur, qui la tient sur les nerfs, elle a aussi, planqué derrière sa cage thoracique, un trou noir, un jour elle tombera dedans sans faire exprès et ce sera la fin. Elle trouve qu’elle a une vie pourrie, et pourtant elle se marre tout le temps. Elle connait bien le léopard.

Où Denise a perdu sa clé

Elle se demande ce qu’elle a bien pu faire de sa clé.
Elle se tient là, interdite, le corps penché sur la gauche, elle réfléchit devant la porte fermée. Elle a fait une erreur ce matin en quittant l’appartement. Elle n’a pas réfléchi, a claqué la porte derrière elle parce que sa tête était loin déjà, en bas, dans la rue, au carrefour de la mort qui tue, ou peut-être un air de java bleue l’a distrait au mauvais moment. Denise, pourtant n’est pas du genre à se laisser distraire. C’est une mauvaise fin de journée pour elle, une contrariété de plus.
Elle se tient là, entre le vide et les ombres de la nuit, elle se dit qu’elle aimerait être dans son lit, dans sa maison, dans les bras de Suzanne, pas sur le pallier, sa clé perdue elle ne sait où.

(dé)routes

Voyage fulgurant de Josiane à la recherche de ses racines

Josiane tire la porte et tourne la clé dans la serrure, puis en regrettant le grand silence qu’elle emporte avec elle, ferme son anorak jusqu’au menton.
Elle recroqueville ses orteils contre les semelles bien dures de ses chaussures, et c’est bien, elle se sent vivante.
Josiane tourne le dos à son appartement et descend les cinq étages d’un escalier de pierre en comptant chaque marche : il y en a cent vingt par volée de douze. Ça fait une petite dénivellation.
Arrivée sur le trottoir,
Josiane grille une Chester, jette sa clé dans le caniveau et attaque l’ascension du Makalu, huit mille quatre cent soixante trois mètres d’altitude, gravit le 15 mai 1955 par Jean Couzy et Lionel Terray, âgés respectivement de trente-deux et trente-quatre ans.
Josiane en a quarante six.
Elle n’a pas une minute à perdre.
Josiane assise au pied des Alpes.
Précisément sur la tombe de Lionel Terray, le conquérant de l’inutile.
Elle chante à tue tête « Il mio refugio » de Richard Cocciante, allume une Chester, ce sera la dernière, fume trois bouffées et l’écrase sur la tombe du conquérant Lionel Terray de l’inutile.
A toujours quarante six ans, elle quitte la tombe de Terray Lionel, le conquérant de…
elle-même ne sachant pas si...
A digérer, il ne lui reste que
six mille neuf cent trois kilomètres pour atteindre le Makalu, cinquième sommet le plus haut du monde, une montagne isolée qui a la forme d’une pyramide à quatre côtés, assez semblable à la tombe de Lionel Terray, le conqué… le con-qué…
Mort.
Elle-même ne sachant pas si…

Alors en route.
En route et marche vite.
Josiane traverse l’Italie du Nord et mange de la polenta,
Josiane renverse la Bulgarie et danse la rutchenitsa.
Josiane pulverse la Turquie et joue du baglama.
Josiane transperce l’Iran et fête le Norouz.
Josiane dégorge l’Afghanistan et vomit son kâbab, son pas s’allonge au Pakistan, au Pendjab Josiane rencontre un nuage de fumée et aré Krishna.

Dans le climat tropical de la vallée d’Arun, Josiane fait une pause.
Elle va bien. Elle recroqueville ses orteils contre les semelles usées de ses chaussures et pense à la tombe inaudible du con mort, en querant l’inutile.
Ah ! Lionel est tombé…
ah ! Terray dans sa tombe
elle-même ne sachant pas si…

Josiane au camp de base enfin parvenue, lèche les flancs du Makalu.
A déjà quarante six ans
elle
Josiane
elle
s’étripe à renifler les odeurs tombées de l’échine de Lionel Terray
elle anonyme
lui pas,
s’échine pas à pas à endurer la tombée de ses tripes à jamais inutiles
ses suées dans les suées de Lionel Terrray.

8461, 8462, 8463…

Josiane agonise à la nuit tombante, dans la neige hors d’haleine, lui, l’ombre de sa main tendue l’accueille enfin dans son ventre.


Inspiré par "Les Conquérants de l’inutile" de Lionel Terray, Gallimard 1961, aujourd’hui réédité aux éditions Guérin.

Lecture des (h)auteurs

Agend’arts
19 novembre 2010

United colors of Ben'Etron

A mon frère de couleur
A ma soeur de colère

Dans un abri d'infortune
T'en va purger ton chagrin

Tout seul et sans les mots
Pour cracher ta viol'haine
A ce jeu qui perd gagne
Un balai et une serpillère
Pour laver les trottoirs
Où les caniches posent des merdes

Oh, jolie paquerette!
Tu poussais autrefois dans les champs de Sarcelle!

Négresse aux doigts qui puent
La Javel et la cire d'abeille
A c'qui paraît ton triste cul
Doit se réjouir de son sort
Ce cul qu'autrefois les anciens
Tortillaient en tendant vers le ciel
Des fronts hagards
Des oeillades confiantes

o trouble

allongés sur le dos
le sable nous faisait un tapis de paresse
les yeux roux de nina
buvaient l'eau des nuages
sa main faisait un paravent
entre le ciel et sa peau claire
dessinant
les ailes d'une abeille
entre deux graines
de beauté

Travail en boîte

La force de travail
on ferait mieux de la mettre en boîte
et de la donner à ceux qui n'ont pas la force de travailler
ainsi la force de travail serait utile à tous
en échange d'une boîte de force de travail
ceux qui n'ont pas la force de travailler
offrirait un litre de paresse
aussi la paresse serait utile à tous
on joindrait l'utile à l'agréable
il n'y aurait plus besoin de psychanalystes

Rhaps

Ce texte n’a pas de titre. C’est une rhapsodie. Une Rhapsodie du désir.
Avec un vrai morceau d’Arthur Rimbaud.

Dans le métro, le gars assis en face de moi, je le regarde.
Il parle à sa femme. Il parle à la femme assise à côté de lui dans le métro, je le regarde.
Sa femme, la femme assise sur lui dans le métro, assise, dans lui, je le regarde.
Le gars dit, « si c’est pour manger du poulet, c’est pas la peine d’aller au restaurant. »
Sonnée, la femme ouvre une bouche à gober d’un seul coup trois œufs durs.
Mais moi (soupir)
Moi en face, je le regarde.
Le gars écrasé sous la femme , le gars en face de moi dans le métro, je le mange.
Je le savoure. Je le pourlèche. Je le salive.

(soupir)

Alors en grand sursaut d’amour ma bouche lui jette : oui! je t’ai compris, nous sommes fait pour frire ensemble, allumer le gaz sous la marmite de nos démangeaisons gastronomiques !
Bazarde cette épouse qui s’indigère à te haïr ! Regarde moi ! touche mes mains : tu les aimes déjà… nos regards se marinent, on mouillera de sueur nos corps, ensemble nous cuirons nos laitances de carpe et nos foies de morue. Je tirerai au tonneau le jus de tes raisins, tu lècheras mon vin de bourgogne, on mêlera nos sucs, oui, prends ma main qui se tend, laisse toi m’aimer, je me chargerai de ton bonheur…

On ne peut pas faire mouche à tous les coups.

Il m’a dit… je suis psychiatre, je reçois tous les mardis sur rendez-vous, tenez, voici ma carte.
Et,
Avec l’air de celui qui ne va pas au restaurant pour manger du poulet il m’a dit : Venez à jeun.

A jeun. A jeun ? Ça m’a déclenché une colère dans la poitrine. J’ai dégainé et je lui ai collé un pruneau entre les deux yeux.

Un dégueuli de viande molle suinte sur la molesquine. Je saute sur le quai et cours droit devant moi.

Navrée, navrante, hors d’haleine et noircie de désir je me trouve au pied d’une façade en pierre de cathédrale.
Désossée, hors d’haleine c’est en cherchant à gober l’air du ciel que je l’ai vu, ouvrant large ses bras il m’accueillait enfin. Je le vois : chaque partie de son corps dit oui. Tu peux entrer, oui, chaque parcelle de son corps m’invite à pousser la porte. Je pénètre en lui.

Dedans il fait un noir de funérailles.

J’avance, je m’enfonce, je laisse entrer le noir en dedans, le froid dans les trous de mes oreilles, de mes narines, de mon ventre hors d’haleine.
Sous la nef glacée il est là, tout au fond, noir lui aussi dans sa robe avachie de corbeau, beau, beau, beau, une femme à ses côtés, laisse de ferveur tomber ses dents qui font un bruit de perle mat en roulant sur le marbre de l’église.
Oh ! la vieille, vieille, désolante punaise de sacristie.

J’avance, je m’enfonce. Comme il ouvre ses ailes je m’enhardis.
Il dit à la femme : « le pape lui-même en personne a reconnu l’intérêt du préservatif ! ».


Ces mots dans la femme, ça lui reste en travers de la gorge et, comme l’arrête du poisson sec ça la déchire, elle… gargouille une prière apostolique.

Mais moi, je sais moi je l’ai compris !
Je t’ai compris !
Mon crédule !
Mon malicieux !
N’est-ce pas ici que nous allons trucider ces caniches qui montent la garde au pied de ton autel ?
Nous nous aimerons de massacre, regarde le souffle sacré affoler mes cheveux d’ange !
Laisse-les monter de tes viscères ces chaos lumineux !
Regarde-moi ! Je suis ta sœur, je peux te sauver !
Viens, suis-moi : je saurai parfumer le puits de nos jouvences, mon beau, mon beau corbeau à la queue de serpent, laisse moi t’aimer !

On ne peut
pas
faire
la mouche
à tous les coups.

La bonne du curé m’a mordu à la cuisse.
Toutes givrées ces vieilles catholes, ces bonnes du cul, ces culs de bénitier. Elle m’a dit, avec l’air de celle qui n’a jamais léché un préservatif : « la confesse, c’est le dimanche à 14h, pas besoin de prendre rendez-vous ».
Confesse.
Confesse.
Confesse.
Ça m’a mis une tension de mille voltes dans le muscle cardiaque. Ni une ni deux, j’ai attrapé le cierge pascal et je lui ai crevé les yeux. Les deux.
Et lui, avant de m’enfuir, je l’embrasse,
Son corps si beau
Son corps si beau
Son corps.
Si beau.

« Comme je descendais des fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guidée par les haleurs
Des peaux rouges criards les avaient pris pour cible
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleur »

Et puis je ne sais pas j’ai continué ma route, j’ai suivi le flot des gens qui marchaient là en se tenant par les yeux, je ne peux pas vous dire madame la commissaire c’est mon enfance qui me tire par les cheveux
- Vous êtes belle
On a tous des voix, vous aussi certainement vous les entendez ces fripons dans la nuit n’est-ce pas leurs soupirs dérobés aux murs de la maison ce sont parfois des mélodies amères, lancinantes et profondes mes nerfs s’y agrippent comme le lierre aux ruines des châteaux …

- Vous êtes belle

n’est-ce pas
dans la nuit parfois des ombres se coulent au pied de votre lit vous soulevez vos draps et laissez glisser entre vos cuisses la caresse des ténèbres …

c’est bon de sentir enfin à portée d’âme les doigts de l’étrangleur qui nous délivrera du mal vous aussi, madame la commissaire, vous êtes belle quand vous me dites, avec l’air de celle qui porte l’uniforme, « autant garder sa peine pour repeindre en rouge le mur de sa cellule. »

En rouge à vos joues le mur de sang afflue, madame la commissaire, vous êtes bonne.
Je vous aime déjà.

Le périscope - Cabaret poétique #3
Dimanche 5 décembre 2010

Saint-Julien Molin Molette !

J’ai une copine, elle a eu des problèmes.
On l’a retrouvée dans un champ, les yeux bandés.
Moi peinard dans mon escaravane
Je tourne la manivelle de ma boite à cauchemar

Ce serait une fois, il ferasse nuit, sans un sourire de lune, pas la moindre lueur de poire.

Cette fille n’a aucune chance de s’en sortir. Sa langue est coupée net à la lisière de son palais.
Elle est dehors, dans un champ de blé embrouillé de cheveux,
Des cheveux
Une carte postale de cheveux
Un champ de champ de cheveux de traverse.
Je veux ces cheveux. Je veux cette fille moi, moi, moi-moi-moi, cette fille et moi Je trempe comme un vieux drap pendu à la fenêtre, je goutte à goutte, c’est pas dieu poss tant-tant sa nuque me connardise.

C’est une fille, peut-être un peu jolie
Ensemble dans les autrefois on sautait des frontières,
On s’essorait aux cordes à linge
Moi, la fille et moi on se drapait dans des plis de rivière
Les parents nous cherchaient mais nous, on s’enfourchait complètement

Elle a les yeux bandés il fait noir-noir sur le bord de la route
Comme on ne voit pas son visage, elle n’a pas pris une ride depuis nos aurores à califourchette

Elle bande
Je passe ma langue sur l’énectar de blés
Qu’elle a pris soin de mélanger à ses cheveux

Dénouez moi ce fil à couper les cheveux en quatre d’une fille qui s’ennuie à flétrir dans un nectar de vigne.
Loin, plus loin, au bout du bout du très bout dans mon escaravane je broute le minou d’une limace bleue. A la fin, on bavera de conserve sur la fille aux yeux célo-fanés.

Alors c’est ça l’histoire de cette fille ?

Non, il doit y avoir un mort quelque part
Elle a tué son père, elle a tant-tant honte qu’elle a dégobillé ses yeux.
Un mort sale, des morceaux, se dit-elle, tandis qu’elle s’escargote vers sa petite maison blanche.


Non, elle sort de chez le coiffeur,
Elle s’est fait des rajouts, ton sur ton, en plus frisé, un châtain clair tirant sur le nègre marron.

Non, c’est un garçon, il a les cheveux long c’est un adorateur de Jésus Christ. La caravane passe. Dedans sa bouche le vent aboie.

Non, non, non, c’est une bille, elle a roulé toute la journée
Elle s’est couvert de serpillière puis, de guerre lasse,
Braqué une banque en bande organisée
Maintenant elle a faim elle mangerait un bœuf

Non, c’est la cousine du père queutard, elle a perdu à la roulette
L’argent de sa mère avortive

Non, c’est une camée, le nez dans la poudre à longueur de fournée
Dedans son cul de pleine misère, plumardent les embourgeoisés

Non ! C’est la fille du caravansérail, une éventreuse de danse indigène, je m’en souviens elle se nombrilait au soleil en fredonnant des airs manouches et moi, moi, et moi, moi-moi-moi cette fille, je grattais déjà dans ses paumes les numéros du loto gagnant.

Non. C’est une madame sans gène et sans ADN. Une mémoire blanche garée là-haut sur le bord de l’autoproute.

Je l’appelle, et je lui dis : t’es nulle, tu touches plus une caravane
Lâche l’affaire, va relinger ta carcasse, t’es pleine de vices et fagotée comme une poutrelle.
Avant je voulais te construire un ciel de traîne pour qu’on y glandouille à toison. J’voulais ton beurre ET ta biscotte.

Puis tu t’en vas, puis tu reviens, et là, là, et là, tu veux jouer à colin maillard ?

Elle a opiné du bonnet

Ni une ni deuze

Moi peinard dans ma caravane j’ouvre la porte à mon cauchemar.

Semi-marathon des (h)
28-30 mai 2010

Zeus

Hier, comme je poireautais à l’arrêt d’un omnibus de la ville, ma curiosité fut piquée au vif par les bribes d’une conversation qu’un vieillard aux yeux de chat entretenait avec un enfant.
Ils étaient assis, et moi debout, de sorte que les mots remontaient à mes oreilles aussi aisément que les bulles d’un champagne tout juste débouché.

Je vous en livre une tranche, découpée à la volée entre deux percées de silence.

L’enfant : dit, papi Juju, avant toi y avait qui ?
Jupiter – car tel était son nom – eut une inspiration de grosse forge et dit : avant Ze, il y avait Cronos, l’ocre manzeur d’enfant, le père de Ze
Cronos, dit l’enfant… et avant lui, Cronos, c’est qui qu’y avait ?
Juju : avant Cronos, il y avait Ouranos, le père du père de Ze. Un père très très pérosse.qui haïssait ses enfants… du tranchant d’un zilex, son fils, Cronos, lui zoupa les zouilles.
… ouille…fit l’enfant, Ouranos a les couilles arrachées… wahou… et qui qu’y avait avant Ouranos, papi Juju ?
Gaia… La zère du père du père de Ze, la Zerre-mère, la zère de toute chose… la zère des Titans, la zère des Cyclopes et la zère des zéants…
… la mère de toute chose ? dit l’enfant. Trop de la balle… et avant ?
Avant : Khaos, le père de la zère du père du père de Ze. Zaos, la faille, la béanze, le grand rien, le tout dans le rien, le noir zotal, le milieu sans bouzole,, le vide immobile, le silence… le silence…
L’enfant taiseux, ne dit plus rien.
Zalors, repris le vieillard, le chaos se dilate, se tord, et pousse un grand cri… le premier cri du monde
Et alors, dis l’enfant ?
Zalors le règne des hommes zadvient et avec euz : le bruit…le buzzz…

Maintenant laisse moi, petit, Ze a des choses importantes à faire. Ze attend l’omnibus.
Tu vas faire quoi, papi Juju, hein, hein, hein, tu vas quoi faire ?
Ze va réveiller un volcan…
Ze va poussiérer l’atmosphère.
Ze va zendrier la terre.

L’enfant interroge : pourquoi tu fais ça papi Juju ?

Silence petit… silence… Ze va réveiller le volcan et dézinguer le vol con des zaéroblanes…
Ça fait peur, dis l’enfant.

Hier, comme je poireautais à l’arrêt d’un omnibus de la ville, ma curiosité fut piquée au vif… à moins que… bercé par les bruits de la ville, je n’ai piqué un somme et rêvé la peur de l’enfant dont l’ancêtre zézayait des zistoires à zormir debout.

Lecture des (h) à la Mapra, Juin 2010